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de haine violente contre personne. « Il ignore, dit M. Luce, toute espèce de fanatisme ; il n’est obsédé d’aucune de ces passions de caste et de nationalité qui offusquent la vue et troublent le jugement. » Si à quelques années de distance il a parfois raconté les mêmes faits d’une manière différente, c’est qu’il a changé de milieu et qu’il reproduit toujours les sentimens de ceux qu’il fréquente. Il écrit volontiers sous la dictée de ses protecteurs et de ses amis, et ne cherche pas même à le dissimuler. Entre les Français et les Anglais, son cœur se partage ; il a pu, selon qu’il subissait des impressions diverses, être plus favorable aux uns qu’aux autres, mais ce ne sont que des nuances, et ces préférences du moment ne vont jamais jusqu’à lui faire commettre des injustices déclarées. Je ne vois qu’un peuple auquel il témoigne une haine ouverte et qui ne s’est pas démentie, ce sont les Allemands. Il n’en a jamais parlé qu’en termes sévères et ne manque pas une occasion de les malmener. Il leur en veut, au début de son histoire, de s’être mêlés à des querelles qui ne les regardaient pas. « Il n’y a rien, dit-il, que les Allemands désirent tant que d’avoir quelque cause et motif de guerroyer le royaume de France, pour abattre le grand orgueil qui est en lui et prendre part aux profits de la guerre. » Ce qui les décide à nous attaquer, ce sont les cent mille florins que les envoyés d’Edouard III, qui les connaissent bien, leur distribuent à propos. « Allemands, dit l’historien, sont durement convoiteux et ne font rien, si ce n’est pour les deniers. » La guerre commencée, Froissart a grand soin de faire remarquer que les Anglais et les Allemands ne la font pas de la même façon. Tandis que les Anglais, quand ils traversent les pays neutres, paient tout ce qu’ils prennent, au contraire a Allemands ne sont pas bons payeurs, » et ils pillent le plus qu’ils peuvent. Dans le beau récit que Froissart nous fait de la bataille de Poitiers, après avoir raconté et célébré la noble conduite du prince de Galles et des chevaliers anglais envers leurs prisonniers, et les facilités qu’ils leur donnent pour se racheter, il ajoute : « La coutume des Allemands et leur courtoisie n’est pas semblable, car ils n’ont pitié ni merci de nul gentilhomme, s’il tombe entre leurs mains prisonnier, mais ils le rançonneront de toute sa fortune et encore plus ; ils le mettront dans les liens, les entraves, les fers et les plus étroites prisons qu’ils pourront trouver pour extorquer une rançon plus considérable. » Le portrait n’est pas flatté, mais nous avons appris à nos dépens qu’il n’est que trop fidèle.

Lorsqu’on parle de l’impartialité de Froissart, quand on dit qu’il est resté neutre entre les deux partis dont il racontait la lutte et qu’il n’a pas eu de peine à l’être, on ne veut pas prétendre