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au milieu des ennemis, dit Froissart, qu’il férit un coup d’épée, voire trois, voire quatre, et combattit très vaillamment. Ainsi firent tous ceux qui l’accompagnaient, et si bien le servirent et si avant se boutèrent sur les Anglais, que tous y demeurèrent. Aucun d’eux ne s’en alla, et ils furent tous trouvés le lendemain sur la place, autour du roi leur seigneur, leurs chevaux liés ensemble. » Personne assurément ne lira ce récit sans émotion ; cependant n’oublions pas que ni Wargni ni Jean de Bohême n’étaient Français. Ils avaient des amis dans les deux camps ; aucun intérêt particulier ne les appelait sous ce drapeau qu’ils étaient venus défendre, et ils ne se sont sacrifiés qu’au point d’honneur. Quand on juge leur conduite de sang-froid, il semble que l’effort dépasse le devoir, et qu’on trouve un peu d’excès et de vide dans cet héroïsme sans motif. C’était en réalité la fin d’un monde, et Froissart, qui y assistait sans s’en douter, nous le fait connaître sans le savoir. La chevalerie, épuisée par ses exploits inutiles, allait périr, et déjà paraissait sur la scène ce qui devait la remplacer. Sur ces champs de bataille où les chevaliers s’obstinaient à s’attaquer corps à corps comme les héros d’Homère, on entendait pour la première fois retentir l’artillerie. La victoire, à Poitiers comme à Crécy, était décidée par les archers des communes anglaises, et l’honneur des deux journées restait à a cette ribeaudaille. » Après la défaite, il s’élevait à la fois de tous les côtés des bruits effrayans qu’on n’avait pas entendus encore : c’étaient les murmures de la bourgeoisie mécontente, les réclamations des gens de métier, les menaces des paysans, qui semblent annoncer à cette chevalerie vaincue que son règne est passé, et que leur tour est venu.

Le XIVe siècle, avec ses faiblesses et ses grandeurs, est tout entier dans Froissart. On peut dire que ses Chroniques, si pleines d’erreurs dans les détails, sont merveilleusement exactes pour l’ensemble et qu’elles nous donnent l’idée la plus vraie de son temps. Il rend la vie à son époque et la remet fidèlement devant nos yeux. Les tableaux qu’il en trace sont si animés qu’ils éveillent aussitôt dans notre pensée les plus tristes souvenirs. Malgré la différence des temps, et quoiqu’il soit toujours dangereux de mettre le présent dans le passé, nous ne pouvons nous défendre, en lisant ces dramatiques récits, de songer à nous ; entre cette époque et la nôtre, les rapprochemens se présentent sans qu’on les cherche. Nos pères avaient déjà connu ce que nous avons souffert nous-mêmes, et, quoiqu’on prétende que l’humanité ne passe pas deux fois par les mêmes chemins, les douloureuses épreuves qu’ils ont traversées se sont reproduites pour nous. C’est surtout dans les événemens qui eurent lieu après la défaite de Poitiers que les ressemblances