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Le cœur saigne quand on lit dans Froissart le récit de leurs misères. Les Anglais occupaient une partie du royaume, et pendant que la guerre civile se joignait à la guerre étrangère, des bandes de brigands pillaient les villages et les châteaux. Il en était venu de tous les pays voisins, « car le royaume de France était si gras, si riche, si plantureux de tous biens, que tout compagnon aventureux s’y jetait volontiers pour profiter. » Ils étaient maîtres des chemins et des rivières, et l’on ne pouvait sortir de chez soi sans acheter un sauf-conduit. Il fallait payer pour habiter en paix sa maison, pour semer son champ, pour enfermer sa récolte, et, quand on avait satisfait à la rapacité d’un de ces chefs de bandits, il en survenait bientôt un autre qui demandait plus que le premier. Tandis que la commune de Paris retenait l’armée du régent devant ses murs, un soulèvement plus terrible éclata dans les environs. « Quelques gens des villages, sans chef, s’assemblèrent dans le Beauvaisis. Ils disaient que tous les nobles de France, chevaliers et écuyers, honnissaient et trahissaient le royaume, et que ce serait grand bien si on les détruisait tous. Et chacun d’eux répondait : « Il dit vrai, il dit vrai. Honni soit celui par qui il arrivera que tous les gentilshommes ne soient détruits. » C’était la jacquerie qui commençait. Toutes les rancunes que de longues souffrances avaient accumulées au cœur des paysans éclatèrent dans des vengeances atroces, et il fallut étouffer la rébellion dans le sang[1]. Attaquée à la fois par tant d’ennemis, jamais la France n’a paru si près d’être perdue ; elle a survécu pourtant à tous ces désastres, et quelques années lui suffirent pour retrouver sa sécurité et sa puissance. De tels souvenirs sont faits pour nous redonner du cœur en nous montrant jusqu’où la France peut tomber et comment elle se relève ; il me semble que l’étude de ce triste passé nous permet d’avoir quelque confiance dans l’avenir et de dire avec le poète :

O passi graviora, dabit deus his quoque finem !


GASTON BOISSIER.

  1. Voyez, pour les détails, l’Histoire de la Jacquerie de M. Luce.