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intransigeans ne s’en doutent pas : en se refusant à tout, ils prouvent qu’ils sont des politiques qui ne sont bons à rien, si ce n’est à être les paladins inutiles d’une royauté qu’ils ont déjà perdue et qu’ils perdraient encore.

Soit, disent de plus habiles politiques, les légitimistes ont tort de refuser leur vote à une organisation nécessaire des pouvoirs publics ; mais il y aurait peut-être une autre manière de remédier à tout sans rien compromettre, d’exécuter les promesses de la loi du 20 novembre, de donner au pays les institutions qu’il réclame, dont il croit avoir besoin, sans engager l’avenir : ce serait de faire des lois constitutionnelles aussi petites, aussi insignifiantes que possible, d’organiser le pouvoir personnel de M. le maréchal de Mac-Mahon en supprimant le titre de président de la république si on le peut, en glissant ce titre dans quelque coin d’une loi savamment obscure, si on ne peut pas l’éviter. La commission des trente, après une année de travail, s’est arrêtée à cette puissante combinaison, et son rapporteur, M. de Ventavon, qui est un avocat de réputation à Grenoble, un orateur disert et ingénieux, s’est embarqué l’autre jour dans la défense de ce système, qui ne diffère réellement de celui des légitimistes purs que parce qu’il va au même but par un chemin différent, en se couvrant de subtilités et d’euphémismes. Au bout du compte, c’est toujours le provisoire qui peut durer six ans, moins de six ans maintenant, qui peut aussi être brusquement interrompu à toute heure, « si la Providence se montrait sévère, » comme on le disait récemment, et après cela c’est l’inconnu ; jusque-là c’est l’attente de l’inconnu, l’incertitude à l’abri d’institutions sans fixité, sans caractère, adaptées tant bien que mal au pouvoir passager d’un homme.

Ce n’est là vraiment qu’une manière d’éluder le problème en donnant au pays l’illusion d’une sécurité sans garantie, sans lendemain, laissée à la merci d’un imprévu toujours possible. Que des légitimistes plus ou moins modérés, disposés peut-être à quelque transaction, mais préoccupés avant tout de faire le moins qu’ils pourront et de ne point se lier, aient pu se laisser séduire par ce semblant de solution, c’est assez simple sans doute ; mais que des libéraux, même des monarchistes constitutionnels, puissent se contenter d’un expédient qui ne répond à rien, ne résout rien et ne garantit rien, ce serait étrange. Parlons franchement. Quoi donc ! depuis quatre-vingts ans, la France poursuit à travers toutes les épreuves, à travers tous les orages, la conquête d’institutions libres, associant le pays au gouvernement de ses propres intérêts. Le gouvernement personnel, elle l’a repoussé quand il s’appelait Charles X ; elle l’a repoussé au prix d’une révolution, et récemment encore quel était le grief le plus légitime, le plus grave contre le régime impérial ? On accusait l’empire de n’être qu’un nom, de se résumer flans un homme, de n’être réglé et contenu par aucune institution sérieuse, On s’armait avec un spirituel à-propos d’un vieux vers :