Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

atteignirent Friedrichsthal, établissement de missionnaires situé à la pointe sud du Groenland, puis Lichtenau et Julianashaab, où ils trouvèrent un vapeur qui les débarqua le 1er septembre à Copenhague.

La Germania, plus favorisée, avait eu cependant la gloire d’accomplir à la lettre les instructions très précises du comité de Brême ; la relation de son voyage, qui remplit quatre gros volumes, mérite de fixer l’attention et demeurera jusqu’à nouvel ordre le manuel indispensable du navigateur dans les parages orientaux du Groenland. Les difficultés que présente l’accès de ces côtes, situées en dehors de l’influence du gulf-stream, viennent de l’énorme quantité de glaces qu’entraîne de ce côté le courant polaire ; les principales chances de succès y sont subordonnées à la nature des vents qui dominent. Ceux de l’est et du sud-est ont pour effet de rendre la banquise plus résistante et plus compacte ; ceux de l’ouest et du nord-ouest au contraire, en refoulant les blocs dans un sens opposé, y déterminent une division et un émiettement qui dégagent les labyrinthes voisins du rivage et y ouvrent des passes nombreuses. La Germania en fit l’expérience : durant tout le mois de juillet, elle se heurta vainement contre d’infranchissables agglomérations d’icebergs et de champs soudés l’un à l’autre ; ce ne fut qu’au commencement d’août, lorsque la prédominance des souffles de l’Atlantique eut produit un relâchement dans les glaces, refoulées entre l’Islande et le Spitzberg, que le bâtiment put se frayer un passage et atterrir dans une petite baie de l’île Sabine (archipel du Pendule), au-dessous de cette partie du pays qu’on appelle la Terre du roi Guillaume.

On sait que le Groenland, visité à plusieurs reprises du Xe au XVe siècle, puis complètement délaissé et en quelque sorte perdu, fut de nouveau découvert à la fin du XVIe siècle par les marins Scandinaves. La côte orientale particulièrement n’est guère connue que depuis les voyages accomplis de 1822 à 1831 par Scoresby, Clavering, Sabine et Graah ; nous ne parlons pas de la malheureuse tentative faite à la même époque par le Français Jules de Blosseville, qui a disparu avec son navire sans qu’on ait jamais retrouvé sa trace.

Cette côte orientale, relativement unie à partir du cap Farewell ou des Adieux, qui en forme la pointe extrême au midi, jusqu’à la baie qui porte le nom de Scoresby-Sund, change tout à coup de caractère aussitôt qu’on a dépassé le 70e degré. Elle offre à cette latitude une infinité de promontoires hardis, de fiords profonds et sinueux, bizarrement encaissés, avec des arrière-plans hérissés de glaciers gigantesques, auprès desquels les plus renommés de la Suisse perdent singulièrement de leur majesté. Tout ce massif ainsi déchiqueté a pour défense avancée une projection d’îles généralement très montagneuses ; l’ensemble de la figure rappelle un peu l’aspect des côtes de l’ancienne Asie-Mineure. C’est au centre même de ce dédale qu’avait pénétré la Germania. À peine ancrée dans son mouillage, elle s’aperçut qu’elle y allait rester