Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/724

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vapeur. Plus de vingt-cinq mois s’écoulèrent sans qu’on reçût aucune nouvelle de ce dernier. Grande fut l’anxiété en Autriche et dans tout le monde civilisé ; on remua ciel et terre pour venir en aide aux navigateurs si étrangement disparus. Le comte Wilczek fit confectionner une quantité de petits ballons en caoutchouc qu’on distribua, munis de dépêches, aux baleiniers en partance pour les mers du nord, afin que ceux-ci les lâchassent dans diverses stations de ces parages ; la Société géographique de Londres donna mission expresse à un navire qui s’en allait au Spitzberg de s’enquérir partout du Tegethoff, et le ministère de la marine russe, à la prière du gouvernement autrichien, adressa un appel dans le même sens aux marins nationaux qui avaient affaire aux abords du pôle. Un riche armateur russe, M. Sidorof, provoqua une réunion publique en vue d’envoyer une expédition de sauvetage sur les traces de l’infortuné vapeur.

Tout à coup, le 3 septembre dernier, juste à l’époque prédite par M. Petermann, qui avait constamment soutenu qu’on ne pouvait s’attendre à aucunes nouvelles des explorateurs avant l’automne de 1874, le bruit se répandit à Vienne que les marins quasi perdus venaient de débarquer en Europe. Quelques jours après en effet, ils faisaient leur entrée dans la capitale de l’Autriche au milieu de vivats d’enthousiasme dont les échos sont encore émus. L’expédition, comme il arrive très souvent dans cet indomptable océan polaire, n’avait pu suivre les termes de l’instruction officielle. Dès le 21 août 1872, c’est-à-dire le jour même où le comte Wilczek l’avait vu pour la dernière fois, le Tegethoff s’était trouvé irrémédiablement investi par les glaces. A partir de cet emprisonnement fatal, l’équipage et le navire étaient demeurés le jouet passif du hasard ; le 13 octobre, le bâtiment subit une poussée qui le souleva en lui infligeant de graves meurtrissures. Qu’on juge si cet hivernage à la merci des élémens fut agité et terrible ! Jusqu’au printemps de l’année suivante, les glaces ne cessèrent point d’être en mouvement ; à la fin de mars 1873, les pressions prirent fin, et le Tegethoff se trouva incrusté au milieu d’une plaine de glace qui avait plusieurs lieues de circuit. Pendant cinq mois, d’avril en septembre, l’équipage travailla vainement à rendre au navire sa position normale ; la plaine de glace avec laquelle il faisait corps fut poussée par les vents dans toute sorte de directions, et finit par remonter ainsi jusqu’au 79° 54’ de latitude nord. Alors commença inopinément le rôle de la science ; du sein même de l’aveugle fatalité jaillit une lumière réconfortante pour l’esprit et la volonté des chercheurs. Un jour, le 31 août 1873, après plus d’un an de terreurs et de souffrances, les captifs de la banquise virent émerger du brouillard, à une distance de 14 milles environ, un amas de côtes élevées où étincelaient des glaciers. On baptisa immédiatement cette apparition du nom de Terre de l’empereur François-Joseph. Il fallut