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néanmoins attendre jusqu’à la fin d’octobre avant de pouvoir aborder les rives si miraculeusement découvertes ; encore dut-on renoncer, dans cette saison avancée, à en prendre véritablement possession ; on allait entrer pour la seconde fois dans cette sinistre nuit polaire qui dure trois et quatre mois. On profita des dernières journées qu’éclairait encore une lueur mourante de crépuscule pour faire de petites excursions préliminaires à quelques lieues du navire, puis ce fut tout ; il n’y eut plus qu’à s’armer de patience jusqu’à la prochaine aurore, c’est-à-dire jusqu’au printemps de 1874.

Cet hiver-là fut plus tempétueux que le précédent, et la persistance des vents du nord amena d’interminables tourmentes de neige ; le thermomètre descendit à 48 degrés centigrades au-dessous de zéro. Enfin le 24 février, le soleil ayant reparu sur l’horizon, on se hâta d’user de ce renouveau. Le lieutenant Payer prépara trois expéditions avec des traîneaux attelés de chiens pour reconnaître la nature et la configuration de la terre voisine. Dans une première excursion, du 10 au 16 mars, il visita l’île la plus proche, où se trouvait un fiord des plus pittoresques, dont un énorme glacier formait l’arrière-plan ; il y avait là des cimes de 2,500 pieds d’altitude. Le second voyage fut de beaucoup le plus important ; les découvertes s’y succédèrent comme par enchantement. M. Payer s’engagea dans un sund ou détroit (Austria-sund) dirigé du sud au nord et tout constellé d’un semis de petites îles. Ce détroit se prolongeait jusqu’au 82e degré entre deux masses continues de terrain. La côte orientale fut appelée Terre de Wilczek, l’autre Terre de Zichy. Au sortir de cette passe, l’explorateur rencontra un vaste bassin, d’où émergeait une autre terre, qui reçut le nom de Terre du prince Rodolphe. Le point le plus extrême où parvinrent le 12 avril M. Payer et ses compagnons fut appelé le cap Fligely ; il est situé à peu près à la même distance du pôle que celui où était arrivé par une autre voie, en l’année 1871, le capitaine du Polaris. Là il fallut s’arrêter, à cause des crevasses et des ruptures qui se produisaient en cette saison dans la glace des fiords. Devant les regards des voyageurs s’ouvrait encore un détroit terminé par une autre terre, dont on pouvait suivre le prolongement infléchi à l’est jusqu’au-delà du 83Q degré. On la nomma Terre de Petermann. Qu’est-ce que ce monde nouveau, qui reste provisoirement l’ultima Thule des navigateurs ? Ce n’est certes pas, au rapport de M. Payer, un amas d’îles insignifiantes ; c’est tout un système régional d’un développement comparable à l’archipel du Spitzberg. Serait-ce la Terre de Gillis, tant cherchée dans ces derniers temps ?

Au retour de cette longue excursion, les explorateurs, ayant eu l’heureuse fortune de retrouver le navire immobile à sa même place, partirent aussitôt pour une troisième tournée dans la direction de l’ouest. A quatorze milles du Tegethoff, ils firent l’ascension d’une haute