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Nulle part peut-être le prolétariat, le paupérisme, la misère, ne s’étalent dans toute leur hideur comme à New-York. L’ignorance est la principale cause de ce triste état de choses dans un pays où il y a cependant tant d’écoles publiques ouvertes gratuitement à tous. Comment s’y montrer en haillons ? L’amour-propre, une honte naturelle, empêchent les enfans des rues d’accourir. On a constaté que, sur le nombre total des criminels condamnés chaque année, un tiers ne savait ni lire ni écrire. N’est-ce pas le cas de répéter ici une fois de plus qu’en ouvrant les écoles on vide les prisons ? L’immigration, qui est une des sources de la richesse des États-Unis, présente pour ce pays, au point de vue où nous nous plaçons, de graves inconvéniens : la majeure partie des enfans des rues sont nés de parens étrangers. L’hérédité doit également être invoquée comme une des causes du paupérisme. Il y a des gens qui sont de père en fils paresseux, vagabonds, voleurs, assassins. Dans un asile à New-York, on a compté quatre générations successives de prostituées et d’ivrognesses dans la même famille, et le toit de l’asile, à un moment donné, les abrita presqu’en même temps. N’oublions pas que la densité de la population, accumulée sur certains points au-delà de toute limite, est aussi une des raisons du prolétariat désolant qui afflige les grandes villes. Comment dormir quatorze dans une étroite cave, dans un sous-sol humide, sombre, affreux ? Cela s’est vu à New-York, qui, dans certains de ses quartiers, dépasse en horreur Londres, Liverpool, Glasgow et d’autres villes anglaises.

Rappellerons-nous enfin l’abus des liqueurs fortes, plus répandu en Amérique que partout ailleurs ? Nulle part, du plus haut au plus bas degré de l’échelle sociale, on ne boit, on ne s’enivre comme à New-York. La coutume n’est pas, pour les gens de bonne compagnie, de boire seulement à la fin des repas comme en Angleterre ; on boit toute la journée, à tout propos. On dirait vraiment que la sécheresse du climat affecte le gosier yankee. Il n’y a pas de cafés comme en France ; mais les bars, les buvettes, sont partout, s’étalent dans toutes les rues, dans tous les hôtels, dans tous les clubs, dans toutes les gares, et cela d’un bout à l’autre des États-Unis. Tel qui tient un magasin, une chapellerie par exemple, y joint une buvette, un salon de dégustation ou sample room ; il en prévient ses amis dans le journal. Cela commence à devenir la règle ; on ne compte plus les temples ouverts au dieu de la boisson. La liqueur alcoolique, falsifiée, frelatée, empoisonnée, dans ce pays qui ne récolte pas de bon vin et où le fisc frappe l’alcool de droits énormes, produit des effets terribles. Le delirium tremens est fréquent. Où avez-vous vu l’autorité forcée d’établir un asile pour les ivrognes,