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montagnes ou à construire des pyramides pour assurer à leurs momies un repos éternel. C’est par une illusion du même genre qu’on se représente les Hébreux toujours en prière, offrant des sacrifices ou chantant des psaumes à Jahvé (Jéhovah), et cela quand Amos et Isaïe nous parlent des chansons à boire qu’entonnaient à pleine voix, au son du kinnor, des luths et des tambourins, les convives couchés sur des lits d’ivoire, étendus sur des divans, près des cratères et des coupes couronnées de fleurs, — quand le Cantique des cantiques, fort galant libretto, atteste chez ce peuple l’existence d’une poésie érotique, — quand les plus vieux poèmes ou fragmens de poèmes conservés dans les livres historiques, le chant de Deborah, les dires populaires sur les tribus d’Israël, etc., n’ont aucun caractère religieux.

Il en faut dire autant de la grave et hiératique Égypte des historiens grecs : à côté des inscriptions historiques et funéraires, et d’une littérature sacrée des plus riches, on possède toute une bibliothèque où presque chaque genre littéraire, poème épique, ode, satire, annales, romans, lettres, amplification de rhétorique, traités de morale ou de sciences, instructions judiciaires, rapports de police, registres de comptabilité, etc., se trouve déjà représenté. Quand cette littérature sera mieux connue, on parlera peut-être du siècle de Ramsès II, le Sésostris des Hellènes, comme du siècle de Périclès ou d’Auguste, car c’est surtout au temps de la XIXe dynastie qu’elle a fleuri et s’est largement épanouie. Les noms de Pentaour, d’Amenemapt, d’Hora, sont sortis de l’oubli ; après Pentaour, le plus célèbre des écrivains de cette époque est Enna, qui composa entre autres le roman des Deux Frères, œuvre aujourd’hui connue de l’Europe savante. Un jeune égyptologue, M. G. Maspero, a tracé dans une biographie idéale du scribe Enna le portrait du littérateur égyptien au XVe siècle avant notre ère[1]. Pour acquérir le titre et les fonctions d’un lettré, d’un scribe, dont « le métier prime tous les autres et n’est primé par aucun, » il suffisait d’avoir reçu une éducation libérale. Le fils d’un laboureur pouvait aussi bien que l’enfant d’un prince ou d’un hiérogrammate s’élever à cette dignité, et parvenir ainsi à toutes les charges dans l’administration ou dans l’armée. Le fils d’un batelier du Nil, parti simple soldat, revenait parfois général, décoré du collier d’or de la vaillance. Le régime des castes, les monumens l’attestent, a été fort exagéré par Hérodote et par Diodore. En Égypte comme ailleurs, il y avait des classes, des corporations, où les métiers et les fonctions étaient plus ou moins héréditaires ; voilà

  1. Hymne au Nil, publié et traduit d’après les deux textes du Musée britannique, p. 1-17 ; Paris 1874.