Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La police ne se prête pas volontiers au désir des étrangers de visiter avec elle les quartiers pauvres de New-York ; nous eûmes beaucoup de peine à obtenir de l’inspecteur-général qu’il voulût bien nous faire accompagner. Il nous répondit qu’il n’y avait là rien de curieux à voir, que ce n’était pas comme à Londres, que ces logis étaient si malsains qu’il était bon de s’en tenir éloigné, et autres raisons spécieuses. Nous insistâmes et finîmes par obtenir deux detectives, deux de ces hommes aux formes athlétiques, de vrais types de horse-guards, comme la police municipale de New-York en a tant. Nous prîmes rendez-vous pour dix heures le même soir. Avant de partir pour cette nocturne campagne, nos guides nous montrèrent le musée de la police, où sont étalés, sous une large vitrine et chacun avec un numéro d’ordre, une date et les incidens qui s’y rapportent, les revolvers, les couteaux, les stylets, les pinces, les rossignols, les casse-tête, en un mot toutes les armes et instrumens divers qui ont servi aux voleurs et aux assassins. Tous les bureaux de district ont des musées pareils. Un canif, un simple couteau de poche, racontent là plus d’une triste histoire. L’outil le plus léger, le plus mince appareil peut donner la mort. Des photographies de criminels ou de leurs victimes sont jointes à ces exhibitions, et en accroissent le poignant intérêt.

Le peuple a donné à quelques recoins des quartiers pauvres des noms significatifs : c’est « l’antre des chiffonniers, » fréquenté surtout par des Allemands, dans Pitt et Willet-street ; « la ruelle pourrie, » dans Lawrens-street ; « l’allée des pauvres, » dans le 7e ward ; « la rue de la misère, » dans la 19e rue, au coin de la 10e avenue. Les rues qui courent parallèlement aux quais de la rivière de l’Est, celles de Cherry et de Water, sont peuplées d’assassins ; c’est là aussi que sont les plus misérables auberges d’immigrans et de matelots. Comme dans le 4e ward, certaines maisons n’y sont fréquentées que par les voleurs et les vagabonds. C’est de là que partent les émeutes, que sortent ces figures sinistres qu’on ne voit que les jours de pillage, comme New-York en a connu quelques-uns. On s’y souvient encore des terribles soulèvemens de 1863 et de 1871. Le premier faillit se rendre maître de la ville et y promena pendant plusieurs jours l’incendie et l’assassinat. On était alors en pleine guerre de sécession, et la garde civique était elle-même en campagne. La police, aidée de quelques courageux citoyens, parvint, non sans peine, à dompter cette terrible émeute. Autrefois tous ces quartiers étaient encore plus dangereux qu’aujourd’hui. A New-York comme à Londres, la férocité des mœurs populaires semble s’être un peu adoucie, si l’ignoble misère n’a pas sensiblement disparu.