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cœur en devint malade, et Râ-Harmachis dit à Chnoum : « Allons ! fabrique une femme à Bataou, afin qu’il ne reste plus seul. » Chnoum lui fit donc une compagne pour demeurer avec lui, belle dans ses membres plus que toute femme de la terre entière, car tous les dieux étaient en elle. Survinrent les sept Hathors, qui l’examinèrent et dirent d’une seule bouche : « Elle mourra d’une mort violente. » Bataou l’aima beaucoup. « Ne sors pas de la maison, lui recommanda-t-il, de peur que le fleuve ne t’enlève. Je ne saurais te délivrer, car je suis une femme comme toi, mon cœur est sur le sommet de la fleur du Cèdre, et si quelqu’un découvrait cela, je me battrais avec lui. »

Un jour qu’il était à la chasse suivant son habitude, la jeune femme, sortie pour se promener sous le Cèdre, aperçut le fleuve qui montait derrière elle ; elle se réfugia dans la maison, mais le fleuve dit au Cèdre : « Que je m’empare d’elle ! » Le Cèdre lui livra seulement une boucle de cheveux. Le fleuve l’emporta en Égypte et la déposa dans l’endroit où se tenaient les blanchisseurs du pharaon : les vêtemens du roi furent bientôt tout pénétrés de l’odeur de cette boucle, et le chef des blanchisseurs la porta au pharaon. On fit venir les magiciens, qui dirent : « La boucle de cheveux appartient à une fille de Râ-Harmachis… O toi, à qui la terre rend hommage ! que des messagers aillent vers toute terre pour chercher cette femme vers la vallée du Cèdre. » Sa majesté dit : « C’est très bien ! » Les hommes partis vers la vallée du Cèdre ne revinrent pas, car Bataou les tua ; un seul échappa pour faire rapport au pharaon. Des archers furent alors envoyés avec des hommes de char, et surtout une femme qui portait des bijoux précieux. Cette fois l’épouse de Bataou vint en Égypte, et le pharaon fit d’elle une princesse auguste. Elle consentit à révéler la condition de son mari, et dit à sa majesté : « Qu’on coupe le Cèdre et le renverse ! » Des archers allèrent avec des outils, et le Cèdre fut coupé, ainsi que la fleur où était le cœur de Bataou.

Le lendemain de ce jour, comme Anepû, le frère aîné de Bataou, entrait dans sa maison et s’asseyait pour se laver les mains, on lui apporta une cruche de bière qui se mit à écumer. Il prit son bâton et ses sandales, partit pour la vallée du Cèdre et entra dans la villa où gisait inanimé son jeune frère. À cette vue, il pleura, et s’en alla sous le cèdre à la recherche du cœur de son frère. Depuis quatre ans, il cherchait en vain, lorsque Bataou désira venir en Égypte, et dit : « J’irai demain matin. » Le soir de ce jour, en revenant, Anepû découvrit un cône de cèdre, le retourna : dessous était le cœur de son jeune frère ! Il le plaça dans une écuellée d’eau fraîche. La nuit venue, lorsque le cœur eut bu toute l’eau, Bataou tressaillit dans tous