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hypogées. Alors la messagère d’amour, s’adressant au prince : « Fais-lui présent d’un collier de lapis avec des lis et des tulipes ; apporte les fleurs de l’allégresse, des liqueurs, des parfums. Qu’il y en ait pour toutes les compagnes ! Fais un jour de bonheur ! » Le prince écarte le feuillage et sort enfin de son lit de verdure. Son amie porte à sa bouche une figue de sycomore ; un esclave occupé au jardinage lui vient murmurer à l’oreille : « Attention ! c’est le frère de la régente ; tu es donc comparable à l’auguste princesse ! S’il n’y a pas de serviteurs, moi, je serai le domestique qui servira celui que tu as captivé. » Elle se fait porter dans un pavillon et remplit encore de vin de palmier la coupe du prince. « Elle ne m’offrit pas, dit-il, un fade breuvage à boire ; ce ne fut pas de l’eau qu’on puise à la rivière que j’emplis mes entrailles. Par ma vie ! ô ma bien-aimée, attire-moi près de toi. La figue de sycomore que ta bouche a goûtée, laisse-la-moi manger. »

Il vécut ainsi douze, mois, heureux et content d’être, parmi les femmes, les fleurs et les oiseaux, sans songer à dénouer les bras souples et nerveux de l’aimée suspendus à son cou : c’était là un collier qui valait bien peut-être le collier d’or de la vaillance qu’il portait sans doute. Mais il n’est point de félicité durable ; le bonheur même importune à la longue, et la joie finit par peser au cœur des voluptueux. Le prince se serait aperçu qu’on le trompait, et de dépit il aurait chargé le dieu Toum du soin de le venger. Il est regrettable que notre fragment s’arrête ici. Le chef militaire n’a pu se croire aimé comme un berger par sa bergère ! D’où peut bien venir son courroux ? Si ce n’est qu’un prétexte pour redevenir libre, à la bonne heure ! En amour comme en toute chose, un grain de scepticisme au moins est nécessaire. Le seul moyen de n’être pas dupe, c’est de ne se livrer jamais, de conserver le droit de sourire, d’écouter la musique des paroles sans trop prendre garde à leur sens ; mais la philosophie d’Horace ne paraît pas avoir été celle des égyptiens de l’époque pharaonique.

Un autre roman du même genre, recueilli sur les papyrus hiératiques du musée de Boulaq, est venu jusqu’à nous en trop mauvais état pour qu’on en puisse suivre les péripéties. Les dix-sept débris de papyrus, sans liaison apparente, qui les constituent ont du moins permis à M. Ghabas d’en découvrir la nature. C’est grâce à l’obligeance de ce savant, qui a bien voulu nous communiquer un essai de traduction inédite, que nous pouvons voir qu’il s’agit de « filet jeté, » comme dans la huitième maxime du scribe Ani, et d’Égyptien emmené par quelque messagère d’amour, ainsi que dans le roman précédent. L’homme suit la charmeuse et vit au milieu de gens couronnés de fleurs, étendus sur des lits. Entre autres détails