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que la mutilation du texte empêche d’entendre, tels que vêtemens emportés, comme dans l’histoire de Joseph peut-être, sermens, etc., on relève l’expression déjà toute romantique de « bonheur irréalisable. » De nombreux dialogues étaient remplis de plaintes, d’aveux, de ressouvenirs amers ou joyeux du passé, le tout mêlé d’histoire de vols et de gens roués de coups, la terre classique de la bastonnade ayant aussi été celle des voleurs. « C’était certainement, écrit M. Chabas, le roman le plus accidenté de tous ceux que l’on connaît parmi les débris de l’antique littérature égyptienne. »

Il reste à parler d’une cinquième et dernière œuvre d’imagination, d’un monument littéraire à tous égards considérable, et dont l’importance égale presque celle du conte des Deux Frères. Le Roman de Setna est encore un roman de mœurs nationales. Transcrit au IIe ou au IIIe siècle avant notre ère, ce papyrus démotique, aujourd’hui au musée de Boulaq, fut trouvé à Thèbes avec quelques autres manuscrits, dans une boîte en bois retirée du tombeau d’un moine copte : c’était évidemment la petite bibliothèque de cet Égyptien. Bien que séparé par un millier d’années du conte des Deux Frères, le langage et les habitudes du style se retrouvent presque les mêmes dans le Roman de Setna. M. Brugsch, qui n’a pas de rival dans la science des textes démotiques, témoigne que la grammaire n’a pas subi les moindres changemens. Nous suivrons l’interprétation magistrale qu’il a donnée de cette œuvre. On ignore le nom de l’auteur. Selon l’habitude des scribes égyptiens, le titre du livre est à la fin, comme l’explicit de nos manuscrits du moyen âge : « Ceci est la fin du manuscrit qui traite du roman de Setna-Chamus, et de Ptahneferka et d’Ahura sa femme et de Merhu son fils ; on a écrit ceci l’an 35, le… jour du mois de tybi. » C’est de l’an 35 de quelque Ptolémée qu’il s’agit. Ces noms ne sont pas inconnus : Setna-Chamus est par deux fois appelé « le fils du roi Usermât. » Or Usermât est l’abrégé du nom officiel de Ramsès II, le Sésostris des Grecs, dans les listes royales ; le prince Charnus était un des fils de ce pharaon : les monumens, surtout ceux de Memphis, font souvent mention de lui. Ptahneferka et Ahura, frère et sœur mariés ensemble, sont les enfans d’un vieux roi Mernebptah. La scène du roman est tantôt à Memphis, capitale de la Basse-Égypte, tantôt à Coptos dans la Haute-Égypte. Tous ces personnages sont des morts, des momies véritables, qui, au fond de leurs hypogées, se racontent ce qu’ils ont fait lorsqu’ils étaient sur la terre. Toutefois, en dépit de leurs bandelettes et des lourds couvercles de granit et de basalte des sarcophages, ces défunts quittent volontiers leurs tombeaux pour se. mêler à la société des vivans. Je ne connais point de livre plus essentiellement égyptien. Quoique l’un des morts joue à l’autre des