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du premier consul l’attachèrent pour jamais à sa personne. Il sortit de cette audience le plus fidèle des amis, le plus dévoué des serviteurs, « ivre de joie ; dit-il, et se sentant à peine marcher à terre. »


II

Voilà donc Ségur, à vingt-deux ans, chargé de commander la garde montante qui veille sur le vainqueur d’Arcole et de Marengo. Il est comme le premier soldat du grand capitaine ; à toute heure, en toute circonstance, le chef l’aura sous la main, toujours prêt à faire son devoir : admirable poste pour assister aux plus grandes choses de l’histoire, quelquefois pour y participer. Dès le commencement de l’année 1803, avant la rupture définitive avec l’Angleterre, Bonaparte ayant invoqué l’intervention de l’empereur de Russie et du roi de Prusse contre les provocations du cabinet de Saint-James, Ségur est envoyé à Berlin avec Duroc, tandis que Colbert va remplir le même office à Saint-Pétersbourg. Il reste trois jours à Berlin, et, grâce aux souvenirs que son père y avait laissés, il a l’honneur d’être admis en audience particulière par la reine de Prusse. C’était la reine Louise, célèbre déjà par sa beauté, comme elle l’a été depuis par son héroïsme. Ségur la peint, telle qu’il l’a vue, jeune, souriante, une sorte d’apparition idéale ; puis il ajoute : « Pouvais-je prévoir alors que, trois ans plus tard cette même reine, en habit de guerre, fuirait devant nos escadrons, et que moi-même, à la fin de la bataille d’Iéna, en pénétrant dans une dernière charge au milieu de Weimar, je serais près de m’emparer d’elle ? » A peine revenu de Berlin, une autre mission l’attend. Bonaparte était tout entier aux immenses préparatifs de la descente projetée sur les côtes d’Angleterre. Au mois de juin 1803, il était allé d’Amiens et de l’embouchure de la Somme jusqu’à Flessingue pour surveiller en personne l’exécution de ses plans et en compléter les détails. Ce voyage avait duré quarante-neuf jours. Au mois d’août, dès que Bonaparte est de retour, Ségur reçoit l’ordre de recommencer la même tournée pas à pas, d’examiner ce qui a été fait depuis le passage du maître, de marquer le point d’avancement de chaque partie, de le lui mander, non dans un rapport en bloc, mais jour par jour et à chacune des stations. L’ordre dicté par le premier consul, bref, d’une précision et d’une clarté impérieuse, se terminait ainsi : « Cet officier ne doit rien dire par ouï-dire, il doit tout voir par ses yeux, ne dire que ce qu’il ai vu, et, lorsqu’il sera obligé de dire quelque chose qu’il n’a point vue, dire qu’il n’a pas vu. »

Associé de la sorte aux préliminaires de cette gigantesque entreprise, Ségur est un témoin qu’il y a profit à écouter. On sait avec