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écrit le 17 octobre du quartier impérial d’Elchingen : « Hier au soir, l’empereur m’a fait appeler dans son cabinet. Il m’a ordonné de pénétrer dans Ulm, de décider Mack à se rendre dans cinq jours, et, s’il en exigeait absolument six, de les lui accorder. Telles ont été mes instructions. La nuit était noire. Un ouragan furieux venait de s’élever : j’ai failli plusieurs fois être renversé par la tempête. Il pleuvait à flots ; il fallait passer par des chemins de traverse et éviter des bourbiers où l’homme, le cheval et la mission pouvaient finir avant terme. J’ai été presque jusqu’aux portes de la ville sans rencontrer nos avant-postes ; il n’y en avait plus : factionnaires, vedettes, grandes gardes, tout s’était mis à couvert ; les parcs d’artillerie même étaient abandonnés ; point de feux, point d’étoiles. Il m’a fallu errer pendant trois heures et inutilement à la recherche d’un général… J’ai enfin découvert un trompette d’artillerie à moitié noyé dans la boue, sous un caisson où il s’était réfugié. Il était raide de froid. Nous nous sommes approchés des remparts d’Ulm. On nous attendait sans doute, car au premier appel M. de La Tour, officier parlant bien français, s’est présenté pour me conduire au feld-maréchal. Il m’a bandé les yeux et m’a fait gravir par-dessus les fortifications. J’ai fait observer à mon conducteur que la nuit était si noire qu’elle rendait le bandeau bien inutile, mais il a objecté l’usage. La course m’a semblé longue. J’en ai profité pour faire causer mon guide… Nous sommes enfin arrivés dans une auberge où demeurait le général en chef. Il pouvait être alors trois heures après minuit. Le général m’a paru grand, âgé, pâle. L’expression de sa figure annonçait une imagination, vive. Ses traits étaient tourmentés par une anxiété qu’il cherchait à dissimuler. Je me nommai, et, après avoir échangé quelques complimens, entrant en matière, je lui dis que je venais, de la part de l’empereur, le sommer de se rendre et régler avec lui les conditions de la capitulation. Ces expressions lui parurent insupportables, il ne convînt pas d’abord de la nécessité de les entendre… » Accablé de son désastre, le vieux maréchal s’entêtait un peu puérilement à en déguiser le nom ; il s’obstinait à ne parler que de la suspension d’armes, de l’interruption des hostilités, et il la demandait pour huit jours. Ne pouvant échapper à la ruine, sa grande préoccupation était de gagner au moins une semaine pour l’Autriche, afin que la Russie eût le temps de la secourir.

La discussion fut longue, courtoise et ferme de la part de Ségur, elle fut vive et tenace de la part du vieux maréchal. Le jour se levait, on se sépara sans avoir pu s’entendre. A neuf heures du matin, Ségur était au quartier impérial à l’abbaye d’Elchingen et rendait compte à l’empereur de sa mission. L’empereur, le voyant harassé de tant de jours de combat et de tant de nuits de