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mença l’enjambée célèbre qu’il termina dans l’île de Ceylan. Il y a plus de quinze ans, notre bonne étoile de voyageur nous conduisait à cette fête prodigieuse, et nous avons vu dans une Babylone improvisée de plus d’un million d’âmes, où une demi-douzaine de magistrats européens et un demi-bataillon de cipayes suffisaient à maintenir un ordre absolu, des scènes pittoresques et étranges qui ne sortiront jamais de notre souvenir. L’Inde du bon vieux temps avec ses princes et rajahs, ses brahmanes, fakirs et sorciers, son luxe et sa misère, sa foi ardente, ses mœurs paisibles, son industrie rudimentaire ou raffinée, était là tout entière, immuable et grandiose, tableau oublié dans le livre des âges ! Aujourd’hui sans doute pèlerins ou négocians arrivent au pied de l’Himalaya, presque aux lieux de sanctification, en wagon-lit ou de quatrième classe ; mais la rapidité et la facilité des communications doivent servir à augmenter les transactions commerciales qui suivent la foire d’Hurdwar. La foire de Delhi assemble aussi chaque année de nombreuses multitudes. Dans le Pendjab seul se tiennent cent vingt-sept foires annuelles. Le nombre n’en est pas moins considérable dans la présidence de Bombay et dans le Scinde, dernière province où les pèlerinages ont exclusivement pour but des endroits vénérés par les musulmans.

Nous ne pousserons pas plus loin cette étude sur les progrès matériels accomplis dans l’Inde depuis 1857. Il y a dix-sept ans, l’opinion publique chez nos voisins d’outre-mer, déchaînée par une crise terrible, réclama que l’empire des Indes fût enlevé à l’honorable compagnie qui le gouvernait depuis cent ans, et le règne de sa majesté Victoria-Béatrix commença dans les trois présidences le 1er novembre 1858 ; mais les réformateurs, inspirés de cet esprit de modération qui doit présider à toutes les innovations chez un grand peuple, respectèrent les institutions éprouvées, les services acquis, en un mot ne supprimèrent qu’un nom,… un grand nom cependant ! Les chiffres que nous avons mis sous les yeux du lecteur attestent que les institutions nouvelles auxquelles lord Derby a attaché son nom ont déjà subi victorieusement l’épreuve du temps, et que l’Inde a acquis aujourd’hui un développement de prospérité qu’elle n’avait jamais connu. À l’intérieur, une tranquillité absolue, un budget en équilibre, des voies ferrées qui vont vivifier les richesses naturelles des districts les plus éloignés de l’empire des Grands-Mogols ou de Ranjit Singh. À l’extérieur, des alliés éprouvés ou des ennemis impuissans. Une plume autorisée a récemment exposé ici même[1] les

  1. Voyez dans la Revue du 1er mars 1874 les Révolutions de l’Asie centrale, par M. Blerzy.