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irréfléchi dont les chemins de fer furent alors l’objet devint même si puissant, que l’on vit des départemens déjà pourvus de voies navigables supplier les pouvoirs publics de mettre à sec les canaux construits afin d’y poser des rails.

Les ingénieurs des ponts et chaussées, — il faut le rappeler à leur honneur, — s’opposèrent à ces préjugés funestes, autant du moins que leur parole était écoutée. L’un d’eux, M. Minard, soutenait dès le début que les railways et les voies navigables ne rendent pas des services identiques, que chacun de ces moyens de transport possède des avantages qui lui sont propres, qu’aux premiers appartiennent les voyageurs et les marchandises de prix, aux secondes les marchandises encombrantes et les lourds fardeaux. Plus tard on voulut bien admettre que la batellerie est au moins un frein salutaire contre le monopole d’exploitation des compagnies de chemins de fer. Puis survinrent des crises dans l’industrie des transports, notamment pendant le second semestre de 1871 ; il fut alors évident qu’à de certaines époques d’encombrement locomotives et wagons.ne suffisent plus à la tâche. A force d’étudier la question épineuse du prix de revient, l’on s’aperçut que les bateaux chargent, en des circonstances favorables, au prix minime de 1 centime 1/2 par tonne et par kilomètre, tandis que les compagnies de chemins de fer ne descendent jamais au-dessous de 3 centimes 1/2 ; encore est-il douteux qu’elles fassent un bénéfice sérieux sur ces tarifs trop réduits. En suivant de plus près les affaires commerciales, on reconnut combien est active la puissance de détournement des voies fluviales et maritimes au détriment des voies de terre. M. Krantz en cite un exemple assez curieux. La compagnie anglo-française à laquelle le gouvernement russe avait concédé le chemin de fer de Poti à Tiflis faisait fabriquer son matériel à Paris. Lorsqu’elle voulut l’expédier à destination, les armateurs d’Anvers, favorisés par les bonnes voies navigables du nord de la France et de la Belgique, demandèrent, pour le transport de Paris à Anvers et de là par Gibraltar à Poti, au fond de la Mer-Noire, un prix inférieur à ce que la compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée réclamait pour le seul trajet de Paris à Marseille. Le moment de reprendre les entreprises de canalisation semble donc arrivé ; nous nous proposons de dire ici, d’après les écrits de deux savans ingénieurs, quels progrès a faits en ces derniers temps la navigation intérieure, quels travaux elle réclame, et, s’il est possible, quel avenir lui est réservé.