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citer un autre cas extrême, une rivière tranquille telle que l’Eure, dont le cours paisible n’a que des crues inoffensives. Il est préférable de prendre pour exemple un cours d’eau placé entre ces extrêmes et dont la navigation importe tant d’ailleurs à la capitale de la France, que l’on n’a dû négliger aucun moyen pour la rendre aussi commode que possible. Ce cours d’eau est formé par l’Yonne en amont et par la Seine en aval, depuis Clamecy jusqu’à Montereau et depuis Montereau jusqu’au Havre. C’est, en l’état actuel, la ligne navigable qui nous intéresse le plus.

L’Yonne prend sa source aux étangs de Belles-Perches dans le département de la Nièvre, à l’extrémité méridionale de la chaîne granitique du Morvan. Sur ce sol rocheux, que recouvre une légère couche de terre végétale, l’eau ruisselle à la surface après chaque pluie d’orage ; chaque ruisseau, transformé en torrent, débite alors une abondante masse d’eau. En temps ordinaire, ce que le terrain en a absorbé s’écoule en minces filets qui tombent de cascade en cascade. La plupart tarissent à la fin des étés secs. En de telles conditions, une rivière peut se réduire à 100 litres d’eau par seconde en étiage, et se gonfler au moment des crues au point de fournir de 300 à 400 mètres cubes dans le même espace de temps. Trois affluens principaux, la Cure, le Cousin et le Serein, qui prennent aussi naissance dans le Morvan, sont soumis au même régime ; ils contribuent tous ensemble à donner à la rivière dont il est question l’allure torrentielle que les bateliers et les riverains ont souvent lieu de redouter.

Lorsqu’elle atteint Clamecy, l’Yonne a déjà parcouru 98 kilomètres ; elle se trouve dans une vallée à pente moins rapide, sur un sol plus perméable où les eaux coulent avec moins de fougue. Jusqu’à Clamecy, elle n’a été flottable qu’à bûches perdues, mode primitif de transport qui sera décrit plus loin. A partir de cette ville, elle devient flottable en train jusqu’à Auxerre sur 77 kilomètres de long avec une pente totale de 51 mètres, soit de 66 centimètres par kilomètre en moyenne. C’est à Auxerre, au débouché du canal du Nivernais, que commence la navigation par bateaux. Sur les 120 kilomètres qui séparent cette ville de Montereau, le niveau des eaux s’abaisse de 50 mètres (41 centimètres par kilomètre), mais la plus forte pente est à la partie supérieure, au-dessus de Laroche, où s’ouvre le canal de Bourgogne. La rivière mesure alors de 70 à 90 mètres de large ; elle débite 15 mètres cubes par seconde en étiage et 1,000 mètres dans les fortes crues. On comprend sans peine que la navigation naturelle, avant la construction des barrages et autres ouvrages d’art, devait se trouver souvent gênée par cette irrégularité du débit.