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de nouvelles idées sur ce sujet. Les rivières ne sont pas faites seulement pour porter bateau ; l’industrie et l’agriculture en réclament aussi l’usage, l’une pour leur faire produire de la force motrice, l’autre pour les employer à des irrigations. Il vaut la peine d’examiner ce que l’on peut tirer des eaux courantes sous ce double rapport.

S’imagine-t-on bien quelle force latente recèlent les eaux en mouvement ? Sur une petite rivière, le Cailly, qui se jette en Seine auprès de Rouen, il s’est établi des moulins, des filatures, des scieries mécaniques, qui en reçoivent une force utile de 1,083 chevaux. Pour les propriétaires de ces usines, c’est un demi-million gagné année moyenne par l’économie des machines à vapeur et du charbon que celles-ci consommeraient. Encore le Cailly n’est-il qu’un faible ruisseau. La Seine roule en grandes crues 2,000 mètres cubes par seconde sous les ponts de Paris, le Rhône 7,000 mètres cubes à son entrée dans Lyon, et plus dédouble auprès d’Avignon. L’Ardèche, sur un parcours de 119 kilomètres, descend une hauteur de 1,243 mètres ; on l’a vue verser dans le Rhône jusqu’à 8,000 mètres cubes par seconde au mois de septembre 1857. Qu’est-ce encore que nos modestes rivières en comparaison de celles de l’Amérique ? D’après les observations récentes d’un ingénieur anglais, le Parana, devant la ville de Rosario, 400 kilomètres au-dessus de l’estuaire de la Plata, débiterait en temps ordinaire 24,000 mètres cubes par seconde. Que l’on suppose de telles masses liquides emprisonnées au moyen de barrages dans les gorges des montagnes, retenues dans des lacs artificiels, il y aurait de quoi faire tourner l’année durant des roues hydrauliques et des turbines pour toutes les industries, arroser aux époques de sécheresse les terres dépourvues d’humidité. Sommes-nous donc incapables d’aménager ces richesses naturelles et de transformer en ruisseaux bienfaisans les torrens qui inondent en quelques heures une vallée au lendemain d’une pluie, pour ne laisser après leur passage qu’un lit de cailloux et des plaines dévastées ?

Il faut en convenir, on a beaucoup négligé jusqu’à présent la question dont il s’agit ici. Ce n’est pas tout à fait la faute des ingénieurs. Les industries auxquelles la force motrice est nécessaire n’aiment pas à s’écarter des grands centres de population, parce qu’elles y trouvent un marché toujours ouvert, des ressources de main-d’œuvre, des commodités de transport qui leur manquent dans les campagnes ; mais l’élévation croissante du prix de la houille ne tardera point peut-être à rendre faveur aux moteurs hydrauliques. Il n’est donc pas sans intérêt d’examiner les tentatives déjà faites pour aménager les eaux au profit de l’agriculture et de l’industrie.