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retenir quelquefois par des représentations mieux choisies, même écrites pour eux et données à domicile ; mais ce qui les amuse le plus, ce sont encore les pique-niques d’été. Le 3 juillet dernier, veille de la date anniversaire de la proclamation de l’indépendance, nous visitions les alentours des Cinq-Points et des Tombes. Nous aperçûmes une longue file d’enfans, presque tous en haillons, pieds nus. Ils se suivaient deux par deux sur le trottoir, et chaque seconde on en voyait accourir d’autres qui prenaient la queue, pendant que les premiers, entrés dans une maison d’assez chétive apparence, en sortaient munis d’un billet. Un policeman maintenait l’ordre dans cette foule empressée, émue, où filles et garçons se coudoyaient. Nous lui demandâmes ce que c’était. « C’est pour le pique-nique de demain, nous dit-il, on a déjà distribué près de 4,000 billets, et voilà qu’il nous vient toujours du monde ; » puis, quand la distribution fut finie : « Allons, enfans, revenez demain matin à quatre heures, il y aura peut-être encore quelques cartes pour vous. » Il fallait voir la mine des pauvres diables qui n’avaient pu avoir de billet ; et se voyaient menacés de n’avoir point de place sur le gigantesque steamer qui allait le lendemain promener tous ces boys pour le grand pique-nique du 4 juillet. On calcule qu’une pareille excursion pour 4,000 enfans revient à peu près à 10,000 francs, c’est-à-dire à 50 cents par tête.

La charité revêt un caractère plus doux, a je ne sais quoi d’attrayant quand elle s’exerce par la main des femmes. Il est des écoles qui ne sont tenues que par elles, et ce sont celles qui réussissent le mieux. L’expérience est faite depuis longtemps aux États-Unis : les meilleurs professeurs sont les femmes, même dans les collèges de garçons. Faut-il ajouter que plus d’une riche Américaine tient à honneur de venir diriger elle-même les exercices des écoles pour les enfans des rues, et se dévoue avec un entraînement tout maternel à leur instruction, à leur moralisation ? Sur les 116 maîtres et maîtresses attachés aux écoles de la Société protectrice, 87 seulement sont salariés ; tous les autres, surtout des femmes, enseignent volontairement, et la part de celles-ci est large dans les succès que l’on a obtenus. Tous du reste, depuis le président et les commissaires de la société jusqu’aux derniers agens, tous, secrétaires, trésoriers, surveillans, professeurs, inspecteurs, ont fait noblement leur devoir. La plupart ont rempli gratuitement leurs fonctions. Chacun, emporté par la plus louable émulation et par un élan philanthropique qu’on ne saurait trop admirer, a tenu à faire mieux d’année en année, et s’est trouvé désigné comme par hasard à la place qu’il pouvait le mieux remplir. C’est un axiome britannique, qu’on doit mettre l’homme qu’il faut dans la fonction qui lui convient.