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LA RESTAURATION DU ROI ALPHONSE XII.


Dans les derniers jours de décembre 1874, l’Espagne a étonné de nouveau l’Europe par une de ces brusques péripéties, par un de ces coups de théâtre fréquens dans l’histoire d’un pays qui est gouverné, comme on l’a dit, par une Providence particulière, à laquelle il donne beaucoup d’occupation. Il est à remarquer que les Espagnols ne prennent pas leur part des étonnemens qu’ils procurent aux autres. Tout ce qui leur arrive leur paraît simple et naturel ; le fatalisme, qui est dans leur sang, les dispose à donner raison aux événemens, quels qu’ils soient, et ils sont préparés d’avance aux retours les plus bizarres de la fortune et de leurs passions. Et cependant, lorsqu’au mois de septembre 1868 ils tressaient des couronnes aux vainqueurs d’Alcolea et applaudissaient avec frénésie au détrônement de la reine Isabelle II, n’auraient-ils pas lapidé ou conspué comme un fou le prophète qui leur eût annoncé que six ans plus tard Madrid se pavoiserait pour recevoir le prince des Asturies revenant de son exil, que des acclamations presque unanimes retentiraient partout sur son passage, que de toutes les fenêtres, de tous les balcons, les fleurs et les sonnets pleuvraient sur lui ? Aujourd’hui, si quelque chose les étonne, c’est de n’avoir pas compris que l’événement extraordinaire dont ils viennent d’être les témoins était inévitable. Beaucoup d’entre eux qui l’avaient déclaré impossible se vantent de l’avoir prévu et prédit.

A vrai dire, pour peu qu’on y regarde de près, on n’a pas de peine à s’expliquer la facilité sans pareille avec laquelle la restauration d’Alphonse XII s’est accomplie. Quand les Espagnols en 1868 se flattaient d’en avoir à jamais fini avec les Bourbons, ils étaient les dupes très sincères d’un de ces entraînemens passagers auxquels sont sujets les peuples du midi, qui portent dans leurs sentimens la fougue de leur imagination et se figurent aimer ou haïr plus qu’ils ne haïssent ou qu’ils n’aiment. La reine Isabelle avait par ses fautes accumulées, par son inconduite politique, lassé la fidélité de ses sujets, découragé le zèle de ses amis les plus dévoués et creusé l’abîme où son trône devait disparaître ; mais il y avait plus de colère que de haine dans le cœur des insurgés qui l’ont renversée. Les Espagnols ne pouvaient oublier longtemps qu’en dépit de ses erreurs, de ses funestes faiblesses et de ses violences maladroites, son règne avait fait époque dans leur histoire, que de l’avènement de la fille de Ferdinand VII datait pour eux une ère nouvelle, le premier établissement des libertés modernes dans un pays de servitude séculaire. Le souvenir des services rendus devait prévaloir à la longue sur leurs ressentimens, sur leurs rancunes, les disposer à l’indulgence et en fin de compte aux regrets.