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que leur répugnance a des limites. Tous les Persans sont loin, paraît-il, d’avoir cette largeur d’idées : dans certaines provinces, l’argent des chrétiens est passé à l’eau avant d’être touché par un indigène.

Les villages persans se ressemblent comme autant de tas de boue. Si les uns sont moins sales que les autres, c’est qu’il y pleut plus rarement et que la boue a plus de temps pour y sécher. Que la pluie y fasse ou non office de dissolvant, c’est toujours le même dédale de ruelles semées de puits à ras du sol, le même entassement de huttes en terre offrant à l’œil une succession de toits bas et plats, dont la monotonie n’est guère interrompue que par des décombres. Une rue principale, qui dépasse rarement 2 mètres en largeur, sert de bazar : quelques trous carrés ouverts des deux côtés de la route figurent les boutiques ; des traverses de bois recouvertes de lambeaux de natte forment une sorte d’auvent destiné à protéger contre le soleil d’été les chalands et les oisifs. Çà et là un cep de vigne courbé en arc suspend ses festons de verdure au-dessus du chemin, et prête complaisamment son ombre aux passans.

Nous traversons sans nous arrêter deux ou trois de ces villages, et nous recommençons à grimper le long de la montagne. A force de se resserrer, la vallée est devenue une gorge étroite, où la rivière s’encaisse entre deux murailles naturelles. Le chemin surplombe d’un côté, collé à la paroi du rocher. Nous avançons péniblement dans ce couloir de granit, aux prises avec un vent furieux qui, s’engouffrant dans nos manteaux, nous fait par momens vaciller sur nos selles. Deux heures de marche nous conduisent au pont de Mendjil, curieux spécimen de ces ponts persans, dont les arches, taillées en ogive, présentent à leur sommet une série d’angles aigus, formant une suite de zigzags d’une escalade aussi laborieuse qu’originale. Le village est sur l’autre rive, battu sans relâche par la tempête aérienne. Nos muletiers nous font remarquer l’effet singulier produit sur les arbres du voisinage par la violence et la continuité de ces rafales. Les oliviers, qui abondent autour du Mendjil, ont fini par perdre la position verticale et s’inclinent uniformément vers la terre avec l’humilité de simples roseaux courbés par l’orage. Toute la nuit, ce maudit vent fait rage aux portes de la station ; sa plainte stridente, alternant avec l’aboiement des chiens et le glapissement des chacals, nous tient éveillés jusqu’au matin.

5 avril. — Dès six heures, nous sommes en selle. L’étape est rude pour arriver avant le coucher du soleil de l’autre côté du Karzan. Il s’agit d’escalader les hauts sommets derrière lesquels se cachent Cazbin et Téhéran. Rien de triste et de désolé comme l’aspect