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effet ; il imposait, comme première condition, l’abandon du culte réformé, et les Provinces-Unies, comme la ville assiégée, s’associèrent à la réponse que fit alors Guillaume : « Nous sommes ici tous résolus de ne quitter la défense de la parole de Dieu et de notre liberté jusqu’au dernier homme. » A toutes les offres de pardon que les Espagnols et des Néerlandais du parti royal adressaient aux assiégés, Dousa répondit par ce seul vers, emprunté aux distiques de Caton, qu’il écrivit sur une feuille de papier plié en forme de lettre et qu’il envoya à Valdez :

Fistula dulce canit, volucrem dum decipit auceps.

Quand la flûte aux doux sons leurre un crédule oiseau,
Le perfide oiseleur le prend dans son réseau.


N’est-ce pas un trait curieux, et qui porte bien la marque du temps, que ces réminiscences et ces coquetteries de l’érudit au milieu de toutes les duretés d’une guerre atroce et sans merci?

Dès la fin de juin, la ville avait acquis et emmagasiné tous les vivres; on était rationné, chaque homme recevait par jour une demi-livre de pain et une demi-livre de viande. Depuis la défaite et la mort de ses frères, Guillaume ne pouvait espérer tenir la campagne contre les troupes espagnoles, il résolut d’appeler l’Océan à son secours. Il était par bonheur resté maître des grandes levées qui bordent la Meuse et l’Yssel ; on pouvait inonder toute cette partie du territoire. Si les villes devaient rester à l’abri derrière les ceintures de digues qui les protègent, le dommage infligé aux villages, aux récoltes sur pied, serait immense; mais, comme disaient les patriotes, « mieux vaut noyer son pays que de le perdre. » Après quelques hésitations, les états de Hollande, réunis au milieu de juillet, cédèrent aux argumens et à l’éloquence du prince. Ils donnèrent leur consentement, et l’on se mit à l’œuvre. Les digues furent rompues en seize endroits, et l’on prépara sur plusieurs points des flottilles de bâtimens tirant très peu d’eau.

Il était temps; on n’avait plus de pain à Leyde, et les gâteaux de drêche, par lesquels on l’avait remplacé, étaient, eux aussi, sur le point de s’épuiser. Malgré les messages du prince, le découragement commençait à pénétrer dans les cœurs des défenseurs de la place. On montait tous les jours à la vieille tour afin de voir si la mer arrivait; mais les eaux étaient encore arrêtées à deux lieues de Leyde par une grande digue appelée la Land-Scheiding, et l’on n’apercevait rien. Pour comble de misère, Guillaume était tombé gravement malade à Rotterdam, et les préparatifs des Hollandais souffraient de son absence. Enfin il se rétablit, et le 1 er septembre l’amiral Boisot