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avait désigné cette comédie au choix de ses collègues; ne serait-il point plaisant de rire un peu, dans cette salle bourrée de savans, aux dépens des archéologues? Pourquoi seulement les acteurs parisiens n’étaient-ils pas de la fête? Le sénat avait oublié de les inviter, et la pièce était pauvrement jouée.

Après trois heures de banquet et une douzaine de discours, après l’opéra et la comédie, un paresseux eût été se coucher; mais notre départ était fixé au lendemain, et il importait de mettre à profit cette dernière soirée ou plutôt cette dernière matinée, car il était déjà plus de minuit. C’était le seul moyen de voir les étudians chez eux; or la vie d’étudiant, telle que la connaissent et la pratiquent presque toutes les universités étrangères, est un des phénomènes qui surprennent et intéressent le plus l’observateur français. Ici l’étudiant entretient avec ses professeurs des relations personnelles et souvent intimes qui n’existent chez nous que dans des cas très exceptionnels. Il paie tous les cours qu’il suit, et comme la plupart de ces cours, ce que l’on appelle les privata, se font au domicile même du maître, les jeunes gens pénètrent dans son intérieur, s’assoient à son foyer, en rapportent ce qui vaut mieux que tous les préceptes, l’exemple reçu et l’habitude prise. En France, les étudians n’ont entre eux aucun lien ; tout au plus chacun fréquente-t-il quelques amis de collège, quelques camarades rencontrés au cours, — ou bien ailleurs. Ici les 800 étudians environ que compte aujourd’hui l’université forment une association qui a ses chefs élus et ses règlemens, ses revenus assurés et sa caisse. Il y a tout au plus une quinzaine d’étudians qui n’en font pas partie; ce sont ceux que l’on appelle les sauvages (wilden). Tous les autres versent une cotisation annuelle d’environ 40 francs. Administrée par le sénat des étudians, la somme assez considérable que fournissent ces souscriptions sert à couvrir certaines dépenses communes. On entretient ainsi un cercle où l’on se réunit tous les soirs. On y cause, on y discute parfois comme dans un parlement, on y fait de la musique, on y trouve des journaux et des livres, du tabac, de la bière et du vin. Les professeurs y viennent souvent, sans apporter avec eux la moindre gêne, passer la soirée au milieu de leurs élèves; on y donne des bals aux dames de la ville, on y organise des fêtes et des cavalcades comme celles que l’on prépare cette année pour le mois de juin, un regain du troisième jubilé séculaire. Les finances de cette république sont en si bon état qu’elle a jusqu’à du crédit. Les étudians se trouvaient mal installés dans un local insuffisant; ils ont émis un emprunt, ils l’ont placé dans leurs familles et parmi les anciens élèves de l’université. On leur a prêté 300,000 fr. à 2 pour 100. Ce capital a été employé à construire un hôtel qui sera