Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un des ornemens de la grande rue. L’édifice doit être achevé cet été. Il renfermera bibliothèque, salles de conversation et de bal, fumoir, restaurant et salle à manger; ce sera un vrai palais. On devine quels doux et chers souvenirs la vie d’étudiant ainsi comprise laisse à tous ceux qui l’ont menée; c’est de plus une excellente école de self-government. Ceux qui dès leur première jeunesse ont appris ainsi à conduire leurs propres affaires sauront ensuite mener celles de leur ville ou de leur pays. En Hollande comme partout, il y a des partis politiques; mais aucun ne songe à restreindre les libertés publiques, même quand il est au pouvoir. Pourquoi? C’est que la liberté n’est point ici une théorie sur laquelle on disserte, ou une arme que l’on saisit pour renverser le gouvernement et devenir oppresseur à son tour; c’est une habitude que l’on contracte trop tôt pour risquer jamais de la perdre.

M. Curtius et moi, nous avions accompagné M. Heynsius à l’Amicitia; c’était l’heureux nom de la salle où l’on s’était donné rendez-vous. Déjà la séance était ouverte. Autour d’une grande table avaient pris place, à côté du prœses studiosorum et de ses acolytes, un certain nombre de délégués et plusieurs professeurs de Leyde, entre autres M. Kuehnen, l’éminent auteur de l’Histoire du peuple d’Israël, et M. Dozy, un orientaliste, un historien qui est adoré là-bas de ses élèves et dont les travaux font autorité dans l’Europe entière. Les étudians se pressaient autour de nous sur des gradins; une fanfare se tenait au fond de la salle. Déjà les bouchons avaient sauté, les verres étaient remplis et les cigares allumés. Th. Heemskerk agita sa grosse cloche, le silence se fit, et l’on commença à porter des santés. Après chaque discours d’un étranger, la musique jouait l’air national du pays auquel appartenait l’orateur. Ainsi répétée en chœur par tous ces jeunes gens, la Marseillaise retentit encore deux fois, après que MM. Renan et Carrière eurent parlé. Redire tout ce qui se dit pendant trois heures, on n’y saurait prétendre. Deux incidens produisirent un grand effet. M. Renan avait célébré, dans le plus noble langage, la science et sa vertu d’apaisement, il avait essayé de définir le terrain sur lequel pouvaient se rencontrer, pour travailler à l’œuvre commune, tous les hommes de bonne volonté. Se levant après lui, M. Ernest Curtius déclara s’associer à toutes les pensées que l’orateur précédent avait si bien exprimées, et les deux savans se serrèrent la main au milieu d’applaudissemens enthousiastes. Un jurisconsulte de Groningue, M. le professeur Moddermann, éloquent interprète de l’émotion générale, se hâta de prendre acte de cette manifestation; il se félicita des espérances qu’elle pouvait suggérer à tous ceux qui souhaitaient de voir un jour ou l’autre se réconcilier franchement deux grands peuples,