Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il la battait tous les jours et se conduisait avec elle de la façon la plus brutale.

Dans une seconde visite, M. Schweinfurth, ne voulant pas rester en arrière de Mlle Tinné en fait de munificence, offrit à la vieille Chol tout un assortiment de bibelots et de parures, plus un fauteuil à fond de paille, qui excita des transports d’enthousiasme. Il reçut en échange un mouton, une chèvre et un joli taureau : c’était de la part de la vieille dame une générosité sans exemple, car les Dinkas ne se séparent point volontiers de leurs bêtes. Leur grand, leur unique souci, c’est de devenir possesseurs de quelques têtes de bétail. L’espèce bovine est chez eux l’objet d’un véritable culte. Tout ce qui vient de ces animaux est pur et noble à leurs yeux. La bouse de vache calcinée leur sert de fard, leur fournit un moelleux lit de cendres pour la nuit; avec l’urine, non-seulement ils se lavent, mais elle leur remplace le sel de cuisine, qui fait défaut dans ces contrées ! Jamais on ne tue une bête à cornes; les animaux malades sont soignés dans des étables construites pour cet usage; on ne mange que ceux qui périssent de mort naturelle ou par accident. Les Dinkas en effet ne répugnent nullement à s’asseoir à un repas où l’on mange du bœuf, pourvu que ce ne soit pas eux qui fassent les frais de la fête. Rien n’égale la douleur de celui qui vient à perdre une bête de son troupeau : pour la ravoir, aucun sacrifice ne lui coûtera, car ses vaches lui sont plus chères que sa femme et ses enfans. Toutefois l’animal qui meurt n’est point enterré : la sentimentalité du nègre ne va pas jusque-là; les voisins se réjouissent de l’événement et arrivent en foule pour organiser un repas qui comptera dans la monotonie de leur vie. Ils festoient pendant que l’infortuné propriétaire s’enferme pour couver sa douleur. On voit souvent des gens ainsi frappés par le sort passer de longs jours dans le deuil le plus profond. Malgré cet amour que les Dinkas professent pour leurs troupeaux de bœufs, on remarque les symptômes d’une dégénérescence très sensible de la race, peut-être par suite de l’absence de tout croisement et de la privation absolue de sel. La meilleure vache dinka donne à peine autant de lait qu’en Europe une chèvre, et les bœufs sont tellement dépourvus de graisse que Mlle Tinné ne put jamais se procurer un pot de pommade, bien qu’elle eût tout un troupeau à sa disposition.

Les Dinkas forment une nation nombreuse qui occupe un immense territoire et se distingue par ses qualités guerrières. La plupart des soldats noirs de l’Egypte sont des Dinkas; le généralissime des troupes du Soudan, Adam-Pacha, appartenait lui-même à cette nation. Cruels et impitoyables pour les vaincus, ils ne sont cependant pas étrangers à tout sentiment d’affection. Un jour, raconte M. Schweinfurth, un jeune Dinka qui était venu de la zèriba de Ghattas au port Rek avec d’autres porteurs chargés d’une partie de nos effets ne put retourner chez lui parce