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Les deux Akkas de Miani sont deux garçons, dont l’un peut avoir de neuf à dix et l’autre de douze à quatorze ans, si l’on juge de leur âge par l’état de leurs dents. L’aîné a 1m, 11, le plus jeune 1 mètre de haut. Leur teint est couleur chocolat; leurs yeux, grands et vifs sous un front élevé, ont une expression intelligente qui, jusqu’à présent, paraît tout à fait trompeuse. Leurs cheveux sont crépus; l’un les a noirs, l’autre châtain doré. Ils n’ont presque pas de lèvres, et leur bouche, lorsqu’elle est fermée, semble une simple fissure comme celle des singes, dont les rapprochent encore singulièrement le ventre bombé et l’échine concave, qui se creuse comme pour suivre le ventre ou comme entraînée par son poids. Leur nez est enfoncé, un peu épaté, avec des narines très larges ; en somme, vilaine figure portée par un corps disgracieux qui se balance sur des jambes grêles et écartées. Néanmoins ces affreux petits hommes font preuve d’une agilité et d’une dextérité surprenantes. Les deux individus sur lesquels ont été faites ces observations viennent d’arriver en Italie, où ils excitent la plus vive curiosité. Le professeur Panceri, qui les avait amenés du Caire, les a présentés au roi Victor-Emmanuel. Au théâtre, où on les a conduits plusieurs fois, ils ont paru s’amuser beaucoup; l’aîné a fini par retenir un air d’un opéra populaire, qu’il chante d’une manière assez juste. Ce qui frappe surtout dans ces petits sauvages, c’est une extrême mobilité d’esprit : les impressions les plus opposées se succèdent chez eux sans transition.

L’étude de ces curieux échantillons des pygmées africains sera certainement d’un haut intérêt pour l’ethnographie, et permettra de compléter les notions qu’on possède sur les races humaines qui se rapprochent le plus des singes anthropoïdes. On se convaincra ainsi de plus en plus qu’un abîme sépare encore l’orang-outang et le chimpanzé des hommes placés au degré le plus bas de l’échelle des races. La découverte des Akkas forme certainement le point saillant du voyage de M. Schweinfurth, et, bien qu’il ait dû laisser en Nubie (enterré en un lieu où il sera facile à retrouver) le squelette du seul individu qu’il eût ramené avec lui, on lui devra toujours les premiers renseignemens authentiques et précis sur cette race étrange, sur le pays qu’elle habite, sur ses caractères physiques et ses mœurs.


R. RADAU.