Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou protestant-orthodoxe qu’il s’agit de maintenir contre ces hérésies d’un nouveau genre. L’autorité surnaturelle de la révélation biblique est menacée directement. Ce qui, si nous éliminons quelques points de vue extrêmes de gauche et de droite, constituait une sorte de terrain commun à tous les partis religieux de l’Angleterre, c’était le biblicisme, le respect, le culte de la Bible. Favorisé par la stagnation prolongée des études critiques, il s’était enraciné dans la conscience anglaise plus profondément que partout ailleurs. Anglicans et dissidens, haute et basse église, tous les partis s’accordaient à voir dans la Bible un ensemble de révélations miraculeuses sur Dieu, l’homme, sa destinée, l’origine et la fin du monde. On pouvait différer dans l’interprétation; mais la Bible, comme la reine, ne pouvait avoir tort en rien et nulle part. Si les théologiens discutaient la question de savoir jusqu’à quel point il fallait étendre à la lettre l’inspiration miraculeuse que tous s’accordaient à reconnaître dans la pensée des auteurs sacrés, la masse des fidèles ne comprenait rien à ces discussions subtiles, et le fait est qu’en pratique les théologiens eux-mêmes ne paraissaient guère s’en souvenir. Cependant on n’ignorait pas en Angleterre la marche des sciences naturelles, et de bonne heure on s’était demandé si elle tendait à confirmer ou à diminuer l’autorité des livres saints. Longtemps, avec un optimisme que nous avons aujourd’hui quelque peine à comprendre, on tint pour démontré que la géologie, la physique, l’astronomie, l’histoire naturelle des modernes, étaient parfaitement d’accord avec les enseignemens de la Bible. Les plus savans avouaient qu’il fallait, pour maintenir cet accord, solliciter beaucoup la complaisance des textes; mais avec quelque bonne volonté on y parvenait. La géologie démontrait que les terres et les mers avaient traversé de longues périodes de transformations successives avant d’arriver à leur état actuel. Qu’on traduise les « jours » du récit mosaïque de la création par le mot « période, » et il se trouvera que Cuvier a été devancé par Moïse de trois mille et quelques cents années. L’astronomie semblait accuser Josué tout au moins d’ignorance, car elle affirmait que la terre, non le soleil, aurait dû s’arrêter le jour de la bataille de Gabaon, et qu’un moment d’arrêt, soit du soleil, soit de la terre, eût fait retourner le monde entier dans le chaos primitif. Eh bien ! l’astronomie avait raison, Josué aussi; le saint-office avait été bien bon de se donner tant de peine pour extorquer la rétractation de Galilée, et je me rappelle avoir lu la formule algébrique de la force suffisante pour effectuer ce grand miracle sans apporter nulle part la moindre perturbation. Il était admis alors par les naturalistes que les espèces vivantes sont absolument indépendantes les unes des autres, et que l’apparition de