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la marche générale des sciences physiques et historiques, c’est ce principe, considéré, à tort selon nous, comme incompatible avec une notion religieuse du monde et de l’histoire, que la plupart des partis religieux ont jusqu’à présent une peine infinie à reconnaître. Il semble qu’on leur enlève leur Dieu, leur âme et son salut, chaque fois qu’une découverte ou une théorie nouvelle vient rattacher quelque anneau, jusqu’à présent isolé, de la grande chaîne de l’être. A cet égard, l’état des esprits n’est pas le même en Angleterre qu’en Allemagne. Ce dernier pays est par excellence celui du devenir, de l’immanence, de l’évolution, et il y a beau temps que ses philosophes spéculatifs l’ont dressé à en voir partout. En Angleterre, le tour d’esprit est plus dualiste et mécanique. Le Dieu qui trône dans le ciel anglais est encore celui de Locke et de Clarke, le mécanicien et l’ordonnateur suprême, extérieur au monde qu’il a créé et ne s’y manifestant que lorsqu’il y rentre par un acte de providence particulière ou de miracle. Il résulte de là que le principe de continuité, appliqué de plus en plus aux objets que l’on se représentait comme évidemment soustraits à son empire, revêt tout de suite quelque chose d’irréligieux, d’anti-divin, comme si, chaque fois qu’on l’applique, on réduisait d’autant la nécessité et la réalité de Dieu. D’ailleurs l’Anglais n’aime pas qu’on le dérange dans ses habitudes, et il en a de très fortes dans sa vie spirituelle comme dans sa vie privée. Il n’est donc pas surprenant que de toutes parts une sorte de tolle religieux se soit élevé contre les savans dont les théories bouleversaient à ce point les notions jusqu’alors admises sur les rapports de D eu et du monde, de la foi et de la science.

Comme on peut s’y attendre, il y a plus d’une nuance dans la manière dont la lutte est menée de part et d’autre. Il est des croyans sincères et honnêtes qui se contentent d’en appeler d’une science présomptueuse et imparfaite à une science plus modeste et plus éclairée; il en est d’autres qui s’imaginent démontrer la vérité de leur foi en couvrant d’injures, en calomniant dans leur caractère ceux qu’ils accusent d’empoisonner les âmes. Du côté qui arbore le drapeau de la science indépendante, on doit distinguer les esprits entiers et épais, qui se montrent incapables de comprendre que, dans la nature humaine, si la science a ses droits, la religion a aussi les siens, et qu’on ne résout pas une antinomie en supprimant sans façon l’un des deux termes. C’est ainsi que sous le nom de sécularisme on a prêché en Angleterre l’athéisme le plus grossier. Il ne faut pas confondre ces enfans perdus du parti scientifique avec des hommes de haute distinction par le savoir, le talent, le caractère, qui sont avant tout préoccupés de revendiquer la pleine liberté de la pensée et de l’enseignement scientifiques. Ceux-ci ne