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physique est partie de lui. Quant au grand mystère vital, c’est-à-dire à l’adaptation merveilleuse d’une partie d’organisme avec les autres parties et aux conditions de la vie, Démocrite n’essaya pas même de l’étudier. Empédocle, plus poète, introduisit dans l’atome l’amour et la haine pour expliquer les affinités et les répulsions, et il semble avoir pressenti la doctrine de la survivance des individus « les mieux armés. » Épicure perfectionna la doctrine de Démocrite et en fit l’application à la vie pratique. Délivrer l’homme des superstitions qui le tyrannisent, adorer les dieux dans leur suprême indifférence, non pour leur faire plaisir, puisqu’ils ne se soucient de nous, mais parce que cette contemplation des êtres supérieurs élève et purifie, habituer l’homme au nom de son intérêt bien entendu à chercher le vrai bonheur dans la tempérance et la vertu, telles furent ses doctrines favorites. Il eut la fortune de conquérir deux siècles après sa mort un grand poète, Lucrèce, qui burina sa doctrine dans des vers immortels. C’est dans le langage des dieux que Lucrèce chanta l’atome indestructible, sa chute éternelle, son mouvement perpétuel, ses chocs infiniment variés dans l’infini de l’espace et de la durée, la permanence des seules combinaisons capables de persister et de se reproduire. Quel sens admirable de la vérité scientifique il y a déjà chez ce poète latin ! On lui objecte que nul n’a jamais vu ses atomes, qu’ils sont immobiles dans les corps à l’état stable, et que par conséquent il enseigne des chimères ou des choses contredites par l’évidence. Sa puissante imagination trouve réponse à tout. Vous parlez de l’invisibilité de mes atomes ? Pourquoi les verrions-nous mieux que nous ne voyons les particules de l’air dans le vent d’orage qui brise tout sur son passage, ou celles de l’eau quittant un linge mouillé qui sèche? Et quant à l’apparente immobilité de ces atomes, n’avez-vous donc jamais aperçu de loin un troupeau de moutons se dessinant comme une tache grisâtre sur le flanc vert d’une colline? Combien d’agneaux bondissaient invisibles dans cette tache pour vous uniforme et inerte ! Il faut avouer que cette dernière image est d’une rare vigueur. C’est la chute des atomes dans l’espace infini décrite par Lucrèce qui a suggéré de loin l’hypothèse des nébuleuses de Kant et de Laplace.

Cependant la science des Grecs persévérait dans sa grande œuvre. Euclide, Archimède, Hipparque, Ptolémée, avaient enrichi l’esprit humain de vues nouvelles et grandioses. L’anatomie, la médecine rationnelle, commençaient à sortir des limbes. La vraie science d’observation, d’expérience et d’induction allait éclore. Qui vient arrêter ce brillant essor? Deux faits opposés l’un à l’autre. C’est d’abord la putréfaction sociale de l’empire romain, c’est ensuite l’action purifiante, salutaire de la religion chrétienne; mais le remède