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distincte de ses propriétés de tout temps reconnues, et qui contient en puissance la vie et la pensée, destinées à s’épanouir ultérieurement. Il y a des théologies et des philosophies qui ne consentiront jamais à s’assimiler une pareille conception; mais, en dehors de tout parti-pris, le besoin religieux de rattacher la vie et l’âme à l’action créatrice est tout aussi bien satisfait dans l’hypothèse où Dieu crée avec et dans la matière le germe de la vie organique et de la vie spirituelle que dans les vieilles représentations mythiques, où le Créateur pétrissait successivement à jour marqué les premiers exemplaires de chaque espèce et insufflait dans les narines du dernier créé une « respiration de vie » pour lui donner une âme. Assurément nous n’irons pas en quelques lignes trancher des questions si ardues; mais nous dirons sans détour qu’au point de vue d’une philosophie vraiment spiritualiste et religieuse nous saluons avec plus d’espoir que de crainte cette récente évolution du naturalisme, nous demandant si nous n’assisterions pas à l’aurore d’une féconde conciliation des deux termes si longtemps opposés.

Qu’on m’entende bien. Je n’espère ni ne désire que les physiciens et les naturalistes poursuivent cette conciliation d’un dessein délibéré. Ce n’est pas leur affaire, ou plutôt ils compromettraient tout en s’étudiant à la chercher. Leur autorité, pour nous humbles critiques, philosophes circonspects et modestes théologiens, réside tout entière dans le désintéressement de leur point de vue. Nous nous défions tout aussi bien des travaux visiblement dirigés vers la confirmation des traditions consacrées que des études trahissant le désir passionné de les surprendre en flagrant délit d’erreur. Nous supplions nos savans d’imiter un de leurs illustres confrères, bien connu des lecteurs de la Revue, qui, dit-on, lorsqu’il s’enferme dans le laboratoire où il se livre à ses belles recherches, consigne à la porte « Mme de la Matière et M. de l’Esprit » et reste sourd à toutes les tentatives qu’ils font pour entrer.

Mais quand, en pleine liberté, marchant droit devant elle, renouvelant, élargissant, approfondissant notre connaissance des choses, la science de la nature nous révèle des faces de l’être jusqu’alors ignorées, et réclamant, faisant prévoir leur complément psychologique et religieux, bien loin de la maudire parce qu’elle contrarie en nous quelques habitudes mentales, nous lui crions du sein de notre obscurité : Courage, belle science, et en avant! Nous avons cette foi dans la nature que nous n’admettons pas en elle la possibilité du mensonge, et la nature mentirait, elle serait la contradiction absolue, c’est-à-dire le néant, si le monde extérieur, sondé jusque dans ses derniers arcanes, devait anéantir ce monde intérieur, ce règne de l’âme, qui n’est pas moins naturel, moins positif que