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diverses du pouvoir exécutif ou législatif qu’ils exercent. Les honnêtes gens sont les mêmes partout, et nous ne leur trouvons pas à Washington de signes particuliers. En revanche, les détracteurs des vanités nobiliaires d’un vieux monde rétrograde auraient besoin de faire connaissance avec Mme la générale Fulke-Fulkerson, ensevelie pour ainsi dire dans son carrosse du style le moins moderne avec des armoiries à demi effacées et une livrée sombre portée par des nègres à cheveux blancs. La générale affecte toute la majesté d’une douairière du temps d’Élisabeth ; sa toilette est sévère, chacune de ses paroles tombe grave et solennelle comme un texte des Écritures ; le souvenir des ancêtres est évoqué par elle à tout propos ; elle passe la saison des bains à Newport, le port de mer le plus froid et le plus désagréable qui se puisse imaginer, parce que c’est le rendez-vous de la bonne compagnie. Aux amateurs de la sainte simplicité républicaine, nous recommanderons la caste puissante des parvenus : voitures neuves d’un luxe éclaboussant, chevaux de prix aux harnais surchargés de monogrammes, des armes aussi sur les portières ou tout au moins des devises en latin ; cocardes éclatantes au chapeau des laquais. Les femmes, parfumées à l’excès, habillées et retroussées à la dernière mode, étalent dans leurs parures toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. La première impression en les voyant est celle-ci : trop de diamans. Êtes-vous curieux de connaître leur origine, voilà l’honorable mistress Higgins, épouse du député d’un territoire lointain, gentleman en renom pour avoir vendu le meilleur whisky dans le principal village de son désert, et capable par conséquent de représenter ce désert avantageusement. Le mérite de M. Higgins se borne aux blasphèmes qu’il lance à pleine bouche, sans parler d’une habileté reconnue au pistolet ; sa chaîne de montre pèse une livre, il y a quarante-cinq dollars d’or dans la bague qu’il porte au petit doigt, et le diamant de sa chemise éblouit ; homme élégant du reste : une raie exquise sépare ses cheveux par derrière ; ne le croyez pas capable surtout de servir son pays pour rien ! Madame parle avec volubilité en mauvais anglais, mais l’oreille des parvenus est si bien habituée à ce défaut que le contraire la surprendrait davantage.

Voici maintenant l’honorable M. Patrique Oreille, famille française de Cork en Irlande. M. Oreille s’appelait Patrick O’Riley lorsqu’il débarqua d’abord à New-York avec sa tribu. Aide-maçon, il gâchait du mortier tout le jour et de la politique le soir. À force d’industrie et d’économie, il parvint à ouvrir un petit débit de boisson. C’est une puissance d’être cabaretier dans un pays où le peuple a charge d’élire librement tous ceux qui le représentent, le gouvernent et le jugent ; ces messieurs dressent de fait la liste des candidats sur laquelle l’immense foule des moutons de Panurge, qui au