Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même aspiration à dominer et à occuper les postes publics. Chez un peuple où la vie serait remplie par de graves préoccupations, des travaux absorbans, une industrie active et développée, ces défauts de caractère seraient loin d’avoir les mêmes inconvéniens; mais ici la vie est calme et indolente, pour les nationaux surtout. La seule industrie est pour eux l’industrie pastorale; aucune ne laisse l’esprit plus libre, aucune n’exige moins d’effort matériel, aucune ne laisse plus de temps à la rêverie et aux discussions inutiles. Joignez à cela que ces modernes Athéniens ne sont entraînés vers aucune préoccupation d’art, de science, ni même de littérature; il ne leur reste qu’un refuge, la politique. La complication des rouages constitutionnels semble donc imaginée à souhait pour créer une diversion à la monotonie de la vie patriarcale de ce peuple pasteur, et l’on comprend alors aisément pourquoi il a fallu un demi-siècle de luttes et de guerres civiles pour que la république arrivât à élire pour la première fois régulièrement un président. C’est en 1812 que fut proclamée l’indépendance et que fut chassé le vice-roi, ce n’est qu’en 1862 que le général Mitre fut proclamé président de la république par toutes les provinces, réunies pour la première fois dans un sentiment de solidarité.

Le 12 octobre 1868, le président Domingo F. Sarmiento prenait possession à son tour du pouvoir, qui lui était transmis pacifiquement par le général Mitre. La constitution était dès lors consolidée, et le pays, entrant dans une ère nouvelle, recueillait le fruit de ces années de sagesse et de travail, et attirait déjà l’attention des capitaux européens. A vrai dire, après les six années de la présidence du général Mitre et les cinq premières années de celle de M. Sarmiento, on pouvait difficilement décider laquelle de ces deux périodes serait plus profitable à la prospérité et à la grandeur de la république argentine.

Le chemin parcouru depuis la chute de Rosas était considérable. Depuis la fin des guerres où le général Urquiza, luttant pour remplacer Rosas, qu’il avait vaincu, contre le général Mitre, qui représentait l’union de la confédération et la liberté, depuis le jour de l’élévation régulière de Mitre au poste de président de la république, le pays avait toujours marché sans secousse dans une voie de progrès commercial, industriel, financier et même politique. Le développement de l’industrie pastorale, le haut prix de ses produits sur les marchés d’Europe, avaient créé une source de richesse presque incalculable. La guerre du Paraguay, entreprise de concert avec le Brésil, fort critiquable dans son principe, produisait du moins ce résultat important de renverser le dernier tyran féodal des républiques de la Plata, le général Lopez, et faisait du général Mitre