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temps de s’occuper de ceux qui n’en ont pas. C’est ce qui fait que la valeur propre et personnelle de M. de Rémusat comme philosophe n’a jamais été complètement mise en lumière. Sans être un chef d’école, il eût pu être, s’il l’avait voulu, l’inventeur d’une nuance dans une école, et l’inventeur d’une nuance, en la grossissant un peu et avec quelque savoir-faire, joue facilement l’apparence d’un plus grand rôle. En effet, un trait de caractère distinguait très particulièrement M. de Rémusat parmi les autres disciples de M. Cousin : il n’était pas parmi les satisfaits; il faisait des réserves; il insinuait des objections; comme Socrate, tout en restant fidèle aux grands principes de l’idéalisme spiritualiste, il aimait à montrer que ce que l’on sait le mieux, c’est que l’on ne sait rien. Nous ne voudrions pas, pour relever un des amis de M. Victor Cousin, avoir l’air de diminuer les autres; chacun d’eux avait sa personnalité propre. L’un se recommandait par une sorte de candeur pieuse, qui en faisait le Fénelon du spiritualisme; un autre choisissait le rôle de stoïcien, et, préférant l’originalité de la vie à celle des idées, se montrait aussi mâle et aussi hardi dans l’action que sage et croyant dans la théorie; un troisième, rassemblant, dans une solide encyclopédie, tous les résultats historiques et théoriques de l’école nouvelle, en fondait peut-être le monument le plus durable, en même temps que, poussant ses recherches du côté de l’Orient judaïque, il enrichissait de ce côté l’érudition philosophique. Enfin tous avaient leur individualité marquée et leur génie propre; mais on ne méconnaît pas leur valeur, on constate simplement un fait en disant que dans l’école de M. Cousin, à partir d’un certain moment, la plupart se sont tenus pour satisfaits. Aux recherches hardies des débuts succédèrent bientôt des affirmations décidées et un peu étroites. Ce changement même se fit assez vite. En 1836, M. Th. Jouffroy, dans une préface célèbre aux Œuvres de Reid, distinguait hardiment ce qu’il appelait les questions de fait et les questions ultérieures ou métaphysiques, et il semblait ajourner pour longtemps la solution de ces dernières questions. Quelques années après, ces questions ultérieures étaient toutes résolues, et la doctrine constituée. M. de Rémusat n’a jamais contesté les fondemens généraux de cette doctrine, l’ensemble de ses spéculations appartient certainement au même esprit et au même ordre d’idées; mais il trouvait que les choses n’étaient pas tout à fait aussi claires qu’on le disait. Il trouvait que l’école de M. Cousin, telle qu’elle paraissait définitivement établie, tranchait d’une manière trop décidée des problèmes qui sont pleins d’abîmes; il lui semblait qu’on n’arrivait à la simplicité des décisions qu’en effaçant la complexité des questions, en s’abstenant de recherches du côté où l’on craignait des obstacles, en niant ou en omettant ce qui gênait, en un mot en supprimant les