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tout naturellement par le grand fleuve, avec les états de l’est un obstacle s’était jusqu’ici interposé, l’absence de tout pont sur le Mississipi et la difficulté d’en jeter un. La largeur du fleuve est sur ce point de 500 mètres ; en outre le lit en est profond, les eaux changent souvent de régime, et le banc de sable qui les porte et qu’elles-mêmes déposent et agitent varie quelquefois de plusieurs mètres d’épaisseur. Des crues subites déplacent ces terres meubles par masses considérables. Il fallait donc, pour établir les piles d’un pont, descendre jusqu’au roc solide, qui est ici situé à 30 mètres au moins au-dessous du niveau moyen des eaux. Il y a quelques années, on a préludé à ce travail, réputé jusque-là impossible. On a atteint le roc au moyen de caissons à compartimens où descendaient les ouvriers et où l’on injectait de l’air comprimé. On a vidé au dehors, au moyen de pompes à vapeur, les sables et l’eau d’infiltration, qui passaient encore malgré la pression de plusieurs atmosphères maintenue dans l’appareil. C’est de cette façon qu’on a commencé à construire sous l’eau, au milieu de toute sorte d’obstacles, les énormes fondations des piles. Elles sont tout en granit et s’élèvent, au nombre de quatre, au-dessus du niveau de la rivière comme d’indestructibles tours bâties pour l’éternité, une sur chaque berge et deux au milieu du fleuve, également espacées des bords. Les arches qui s’appuient sur ces piles sont formées d’énormes tubes d’acier creux à l’intérieur et juxtaposés deux par deux. Les deux arches extérieures ont plus de 150 mètres d’ouverture, celle du milieu dépasse 158 ; c’est une fois et demie la largeur de la Seine à Paris. La hauteur de l’arche principale au-dessus des eaux moyennes est de 24 mètres mesurés sous la clé de voûte, et celle des deux autres de 22, de telle sorte qu’un bateau à vapeur peut aisément passer sous ces arches avec sa cheminée un peu raccourcie, ou en l’inclinant momentanément par le milieu au moyen d’un levier à bascule. Cette œuvre grandiose a répondu du mieux possible à l’obligation qui lui était imposée de ne gêner aucunement la navigation.

Le pont a deux tabliers, le supérieur pour les piétons et les voitures, l’inférieur pour le passage des trains de chemins de fer. Ceux-ci entrent dans la ville par un tunnel ouvert à la suite du pont et se terminant à une gare centrale. Quatorze lignes ferrées aboutissent au pont monumental de Saint-Louis. Le tablier supérieur est assez large pour servir de promenade publique. On y a ménagé, au-dessus de la pile du milieu, un vaste hémicycle où se réunit par momens le soir la musique militaire. On jouit de ce belvédère d’une vue magnifique. A ses pieds, on a la file sans fin des steamboats amarrés à la rive, que l’incendie a un jour violemment détruits au nombre de vingt à la fois. A droite, se profile à hauteur du pont la ville, à