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souvent d’inutile dans des jugemens de parti, ces enquêtes ne sont point sans avoir porté leurs fruits, elles ont été des auxiliaires utiles dans le travail de reconstitution de l’armée ; elles ont mis sur la voie de réformes nombreuses, profondes, qui ne sont pas toutes accomplies et qui ne deviendront efficaces que si elles sont poursuivies avec une résolution coordonnée, si elles sont vivifiées par un esprit militaire rajeuni. S’il y a aussi un enseignement politique à dégager de cet inventaire de nos malheurs, il est dans ce que le président de la commission des marchés, M. le duc d’Audriffret-Pasquier, disait un jour : « La leçon de tout ceci, c’est que quand un pays abdique ses libertés, quand il abdique le contrôle, quand il ne sait pas se faire à ces mœurs libérales qui font que les affaires de tout le monde sont les affaires de chacun, c’est qu’il ne sait pas que la politique c’est notre sang, c’est notre argent, c’est notre honneur… Quand un pays abdique ses libertés et ne sait pas les défendre, il en résulte fatalement ce que vous venez de voir : la décomposition et la démoralisation ! Canrobert en résulte encore par malheur autre chose, une situation aussi grave que délicate, où en expiation de ses anciens oublis un pays est réduit à compter avec des difficultés qu’il ne connaissait pas ; il est obligé de vivre pour ainsi dire sous le regard de l’ennemi, de mesurer ses actions et ses pensées, de se dire que tout est changé, qu’il a une frontière béante, qu’une invasion, au lieu d’être à treize jours de Paris comme autrefois, serait à quatre jours. C’est là ce qui domine tout. Et maintenant poursuivez vos enquêtes, si vous voulez, mais que ce soit, selon le mot du général Trochu, pour la vérité et pour la justice, non pour exercer des représailles ou donner des armes à des régimes qui se flattent encore de reconquérir la France après l’avoir perdue ; qu’il ne sorte enfin qu’une virile moralité de cet examen de conscience après la défaite, c’est que tout le monde doit être résolu à subordonner les passions, les intérêts de parti ou de secte à la grandeur de la patrie, en faisant de la liberté régularisée la complice vigilante, dévouée et active de la résurrection nationale.


CH. DE MAZADE.