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avait repris le bombardement, dirigeant particulièrement son feu contre le navire le Louisiana, qui, nous l’avons dit, n’avait pris aucune part au combat et avait échappé ainsi aux coups de Farragut. Pendant ce temps, des bâtimens légers occupaient tous les canaux par lesquels les défenseurs des forts auraient pu chercher à communiquer avec la Nouvelle-Orléans, et Butler, débarquant ses troupes près de la quarantaine, les investissait complètement. Le général Duncan espérait néanmoins pouvoir résister encore quelque temps : si le fort Jackson était en ruines, Saint-Philippe était encore en assez bon état. Quatre hommes seulement avaient été atteints dans le second et quarante-deux dans le premier : parmi ces derniers, malgré les huit mille bombes tombées dans l’enceinte du fort, on ne comptait que neuf blessures mortelles : c’étaient donc près de mille projectiles consommés pour chaque homme tué ; mais les défenseurs des deux forts étaient épuisés, isolés, exposés à un bombardement qui allait devenir fort meurtrier, et découragés par la perspective d’une reddition inévitable. La plupart d’entre eux, Européens ou même Américains du nord, étaient étrangers à la ville qu’ils avaient été chargés de protéger, à la cause au service de laquelle ils avaient été enrôlés presque de force. Pendant la lutte, ils avaient fait bravement leur devoir ; dès que Farragut eut passé les forts, ils ne voulurent pas se sacrifier inutilement. Enfin le 27 avril, ils se réunissent en masse, commencent à enclouer les canons, à jeter à l’eau les munitions, et reçoivent à coups de fusil les chefs qui tentent de les ramener au devoir. Une seule compagnie, composée de planteurs, reste fidèle au drapeau confédéré. La révolte qui éclate au fort Jackson menace de s’étendre à Saint-Philippe : des signaux sont déjà échangés entre les soldats, et, malgré les efforts de Duncan, la garnison du premier fort se met en marche pour l’abandonner. Toute résistance était devenue impossible. Le lendemain 28, Duncan et Porter signaient une capitulation où ce dernier se plaisait à rendre hommage à la bravoure et à la loyauté de son adversaire ; mais les pourparlers faillirent être interrompus par un acte aussi brutal qu’inattendu. Le capitaine confédéré Mitchell, à qui ses camarades des forts reprochaient de les avoir trop mollement défendus, était indépendant des autorités militaires, et ne se considérait pas comme compris dans la capitulation. Lorsque la flottille de Porter s’approcha pour en assurer la conclusion, il eut soin de ne laisser aucun pavillon sur le Louisiana, amarré au-dessus de Saint-Philippe ; mais un instant après, profitant du moment où tous les navires fédéraux étaient rassemblés à peu de distance, il mit le feu à son bâtiment et le lança sur eux comme un brûlot. Heureusement le Louisiana sauta trop tôt, à la hauteur du