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la surface qu’arrosent ses innombrables affluens, dont quelques-uns sont de grandes rivières, la Loire mériterait presque d’être mise au premier rang. L’embouchure de cette rivière occupe une position centrale sur les côtes européennes de l’Atlantique; c’est en quelque sorte un point d’atterrissage obligé pour les navires qui arrivent des divers ports du globe. Il s’y trouve une grande ville, Nantes, dont les chantiers de construction, les armemens, le commerce extérieur, ont acquis une importance considérable. La Loire serait déjà, si la nature l’avait permis, l’une des artères navigables les plus fréquentées. Par malheur, c’est le cours d’eau le moins propre peut-être à la navigation. Qu’on en juge par un seul fait : il existe des houillères dans le haut du bassin, et cependant la région comprise entre Saumur et Nantes s’alimente le plus souvent de charbons anglais parce que la batellerie est arrêtée par l’état des eaux plusieurs mois chaque année. La géologie explique aisément l’allure irrégulière de ce fleuve. Sur les 115,000 kilomètres carrés dont se compose la superficie du bassin, il y en a 45,000 (39 pour 100) en terrains imperméables, granits, porphyres et autres roches d’origine plutonique, sur lesquelles l’eau ruisselle après les pluies, tandis que dans le bassin de la Seine il n’y a que 19,000 kilomètres carrés sur 79,000 en terrains similaires (24 pour 100). Qu’une perturbation atmosphérique fasse tomber sur cette région imperméable une couche de pluie épaisse de 10 centimètres, — le fait s’est déjà présenté, — voilà tout de suite 3 ou 4 milliards de mètres cubes d’eau qui se précipitent dans le lit du fleuve, et, faute d’un écoulement suffisant, s’épanchent en inondations sur les deux rives.

La Loire présente encore l’inconvénient de trop fortes déclivités. A partir de Nantes, où la marée qui se fait sentir renverse le courant deux fois par jour, la pente augmente peu à peu jusque vers Orléans, où elle approche de 40 centimètres par kilomètre. Jusque-là les bateaux n’éprouveraient sous le rapport de la vitesse d’écoulement aucun obstacle sérieux tant pour la remonte que pour la descente; mais au-delà d’Orléans la pente augmente vite : au-dessus de Roanne, elle devient telle que la navigation est impossible. Ce n’est pas tout : les variations du débit sont excessives. Le lit dans lequel passent au Bec-d’Allier 9,000 mètres cubes par seconde en temps de crue ne reçoit plus en étiage que 30 mètres cubes, c’est-à-dire trois cents fois moins. Qu’en résulte-t-il? Dans le premier cas, les inondations ravagent la vallée ; dans le second cas, le fleuve se réduit à un maigre filet d’eau qui serpente au milieu des sables. Enfin la Loire et ses affluens principaux ont le défaut de ronger leurs berges, auxquelles ils enlèvent, année moyenne, 2 millions de mètres cubes. Cette masse de sable voyage à petite vitesse