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Pour fixer sur moi seul ta pensée et tes yeux !
Que, loin de moi, ton cœur soit plein de ma présence,
Comme, dans ton absence,
Ton aspect bien-aimé m’est présent en tous lieux !

Et l’ode amoureuse recommence sans cesse, vive, ardente, mais pure, avec un accent inattendu.

… Ta vue apaise ainsi l’âme qu’elle a troublée.
Fanny, pour moi ta vue est la clarté des cieux ;
Vivre est te regarder, t’aimer et te le dire,
Et quand tu daignes me sourire,
Le lit de Vénus même est sans prix à mes yeux.

Ce dernier trait rappelle seul le poète de Camille, mais combien il est changé ! Le respect est venu dans l’amour et l’a fait à la fois plus sincère et plus profond. L’expression seule se teint parfois encore des réminiscences d’Ovide ou de Properce.

C’est dans cette note émue et grave que l’Ode à Versailles est écrite. On dirait je ne sais quel vague pressentiment des Méditations. La mélancolie du Lac respire déjà dans ces belles strophes :

O Versaille, ô bois, ô portiques,
Marbres vivans, berceaux antiques,
Par les dieux et les rois Elysée embelli,
A ton aspect, dans ma pensée,
Comme sur l’herbe aride une fraîche rosée,
Coule un peu de calme et d’oubli.
…………….
J’aime, je vis. Heureux rivage !
Tu conserves sa noble image,
Son nom qu’à tes forêts j’ose apprendre le soir,
Quand, l’âme doucement émue,
J’y reviens méditer l’instant où je l’ai vue,
Et l’instant où je dois la voir.

Puis au milieu de ces nobles et délicates amours qui répandent comme une âme nouvelle dans toute cette nature, voici les terribles visions, les souvenirs, les pressentimens lugubres qui viennent s’y mêler et détruire le charme. Tout à coup au coin d’un bois, au détour d’un sentier de ces belles collines, le poète vient d’apercevoir Paris. Tout à ses yeux s’enveloppe de deuil. Une ombre livide s’est levée devant lui ; c’est l’effroyable passé d’hier, c’est l’avenir affreux de demain. Un bruit sinistre vient troubler a ce silence plein de belles rêveries ; » c’est la tête de Charlotte Corday qui tombe, et le cœur du poète éclate en un sublime sanglot qui se termine en un chant d’apothéose :

La Grèce, ô fille illustre ! admirant ton courage,
Épuiserait Paros pour placer ton image
Auprès d’Harmodius, auprès de son ami ;