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plus un caractère spécial où Stuart Mill voit une violation du droit commun, de l’égalité dans la liberté : elle est et ne peut pas ne pas être un monopole naturel[1]. On connaît les dernières conclusions de Stuart Mill dans son Programme of the land tenure reform association : si l’état doit laisser intact le revenu du travail et du capital, il a le droit et le devoir d’atteindre le prix du monopole naturel ou la rente du sol proprement dite par l’établissement d’une taxe spéciale sur la propriété foncière, taxe qui restituerait à la société la part légitime de la société même dans la propriété de l’individu. Par là Stuart Mill s’efforce de prendre une position intermédiaire entre les communistes qui nient toute propriété individuelle et les économistes qui considèrent comme absolue la propriété individuelle du sol. Ainsi se manifeste chez lui cette double tendance que nous avons déjà remarquée : tantôt il invoque des raisons de droit pur pour rendre à chacun ce qui. lui appartient, à l’individu ce que l’individu a créé par son travail individuel, à la société ce que la société a créé par son travail collectif et par son développement ; tantôt au contraire il semble qu’au nom de l’utilité publique il va détruire la propriété ou la rendre en quelque sorte taillable et corvéable à merci. « Le droit des propriétaires à la propriété du sol, dit-il, est complètement subordonné à la police de l’état ; l’état a la liberté de traiter avec la propriété territoriale selon ce qui est exigé par les intérêts généraux de la société, et même, s’il le faut, d’en agir avec la propriété tout entière comme cela a lieu pour une partie toutes les fois qu’un bill est promulgué pour la construction d’un chemin de fer ou d’une nouvelle rade. » Si la tendance utilitaire était seule, rien n’empêcherait Stuart Mill d’aboutir au communisme pur, et il ne trouve de contre-poids que dans la reconnaissance d’un droit personnel de propriété qui se fonde sur des raisons toutes morales.

Même opinion mixte et quelque peu ambiguë de Stuart Mill dans le problème du droit à l’assistance, qui suit naturellement

  1. « Il y a des choses, remarque Stuart Mill, qui ne peuvent devenir articles de commerce sans devenir nécessairement articles de monopole, les chemins de fer par exemple : si la ligne de Londres à Edimbourg élevait ses prix d’une manière exagérée, pourrait-on construire une nouvelle ligne de Londres à Edimbourg pour lui faire concurrence, et le monopole n’est-il pas ici inévitable ? Aussi l’état a-t-il un droit reconnu de limiter les profits et d’imposer une borne légale au prix du transport par voie ferrée. La terre, ajoute Stuart Mill, fait partie des monopoles naturels : la demande pour les terrains, en tout pays prospère, s’élève constamment, tandis que la quantité de terrains à vendre n’est susceptible que d’un accroissement très faible ; de là provient la rente, ce surplus de revenu qui ne correspond pas à un travail du propriétaire ou à un emploi de capital par ce propriétaire, mais simplement à une augmentation spontanée de la valeur des terres sous l’influence de raisons sociales. » Du principe de Ricardo, Stuart Mill tire cette conséquence, qu’une part de la rente revient de droit à la société, et que la société en est réellement propriétaire.