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l’exécution, et qui ne fut achevé que trente ans plus tard. Alors les circonstances avaient changé; la navigation à vapeur, dont on voyait les débuts, ne pouvait se contenter des écluses de l’ancien modèle. A peine achevé, le canal d’Arles à Bouc s’est trouvé insuffisant, si bien qu’il a fallu le doubler par le canal Saint-Louis. Cet interminable récit des travaux exécutés aux bouches du Rhône depuis vingt siècles inspirera peut-être quelques doutes sur l’avenir de la navigation artificielle. Pourquoi, se dira-t-on, se mettre en frais de travaux si coûteux, puisque l’œuvre de la veille est à recommencer le lendemain dans d’autres conditions? Il y en a bien d’autres exemples en France, témoin nos divers canaux intérieurs dont on ne trouve plus les écluses assez larges ni le mouillage assez élevé, et que l’on parle déjà de remanier de fond en comble. Il ne faudrait pas cependant se laisser arrêter par cette objection. Lorsqu’une œuvre nouvelle présente une utilité certaine, par exemple lorsqu’un canal est assuré d’un trafic considérable, les bénéfices que le commerce en retire sont en général assez importans pour que le coût de premier établissement soit en quelque sorte amorti avant que des travaux plus perfectionnés deviennent nécessaires.

Ainsi, pour en revenir à la navigation actuelle du bassin du Rhône, on peut résumer ce qui précède en disant que les bateaux trouveront prochainement dans la Saône, depuis le débouché des canaux qu’elle reçoit dans le haut de son cours jusqu’au confluent de Lyon, la profondeur de 2 mètres avec des écluses de dimensions au moins égales à celles des meilleures voies navigables, — que d’Arles à Bouc, par le canal Saint-Louis, les navires de mer circuleront avec la même facilité, par conséquent pourront échanger leurs chargemens avec les bateaux de rivière, mais que d’Arles à Lyon le fleuve reste indomptable, et qu’en raison de la faiblesse du tirant d’eau et des autres obstacles naturels cette portion du Rhône ne recevra jamais les péniches de gros tonnage au moyen desquelles la batellerie lutte avec succès contre les chemins de fer. En outre les lourds bateaux de rivière, plats et non pontés, que l’on ne se hasarderait pas à lancer en pleine mer même pour une courte traversée, ne peuvent dépasser le Rhône maritime. Qu’un chargement soit expédié de Paris à Marseille par eau, il faut nécessairement le transborder d’abord à Lyon sur les bateaux du Rhône, puis une seconde fois à Saint-Louis sur un navire de mer. De telles solutions de continuité nuisent à la vitesse et au bon marché ; elles réduisent dans une proportion difficile à évaluer en chiffres la puissance économique de cette grande artère. Marseille y perd beaucoup assurément; mais, ajoute M. Krantz, notre réseau de navigation intérieure n’y perd guère moins.