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le poste de payeur-général. Lord Grey s’adjoignit lord Palmerston, il donna les sceaux à M. Brougham, redouté des tories pour sa fougueuse éloquence. Le poste de payeur-général était devenu une vraie sinécure. Russell raconte qu’il n’usa qu’une fois de son autorité, pour faire donner de petits jardins à 70 vieux soldats, — une preuve, lui dit le gouverneur de l’hôpital de Chelsea, qu’il ne connaissait guère les goûts militaires. Lord Russell n’était occupé que du projet de réforme, que lord Grey l’avait invité à rédiger secrètement avec Graham, premier lord de l’amirauté, et lord Duncannon, commissaire des eaux et forêts. Le plan de lord Russell, en dix articles, enlevait en somme le droit de représentation à 150 bourgs vénaux ou trop visiblement dépendans. Il accordait une représentation à 18 grandes villes et augmentait celle de Londres. Il élargissait le corps électoral. Le 2 mars 1831, lord Russell lut son projet à la chambre des communes : la curiosité était au comble, et l’effet fut prodigieux ; on se figure la consternation de tous les députés qui perdaient leur collège. Il sembla aux tories que l’Angleterre était entraînés et allait se jeter la tête baissée dans le gouffre de la révolution. Chacun regardait Peel, car il tenait pour ainsi dire dans ses mains le sort du parti conservateur ; mais son visage ne trahit aucune émotion. Beaucoup de whigs étaient effrayés de l’audace du gouvernement. Les radicaux seuls étaient dans la joie.

A la seconde lecture, il y eut une majorité d’une voix seulement en faveur du gouvernement. Peel avait attaqué le projet, mais on avait remarqué sa froideur, sa réserve. Les ministres résolurent de faire appel au pays et demandèrent au roi de prononcer la dissolution. Guillaume IV y consentit, et, quand on vint lui dire que les chevaux isabelle qui, suivant la tradition, doivent conduire le souverain à la chambre n’étaient pas prêts, il se mit en colère et dit : « J’irai, s’il le faut, en fiacre. » Peel était à la tribune, parlant contre la dissolution, quand on entendit le canon de la Tour. Les députés furent mandés à la chambre des lords, et le roi prononça la dissolution, a L’Irlande restera-t-elle tranquille ? dit Russell en sortant à O’Connell. — Parfaitement tranquille. »

Le besoin de la réforme était si vivement senti dans le pays que le corps électoral, à qui on allait enlever ses privilèges, nomma des députés réformistes. La nouvelle chambre donna au projet de lord Russell une majorité de 136 voix. La discussion de la loi dura quarante nuits, et lord Russell fut chaque nuit à son poste. La loi fut portée aux lords : elle y fut rejetée par 41 voix après cinq jours de débats éloquens. Brougham se surpassa ; il montra aux lords, dans les unions réformistes qui naissaient sur tous les points du royaume, les instrument possibles d’une révolution sociale : « Ces figures de stature inconnue, de forme étrange, ces formes monstrueuses et