Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/914

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liberté de construire dans la Mer-Noire un nombre illimité de vaisseaux, lord Russell croit devoir ajouter que « l’histoire offre plus d’un exemple de grands et glorieux souverains qui ont consenti à une limitation de leurs droits de souveraineté chez eux, » et avec un singulier à-propos il cite Louis XIV souscrivant à la démolition de Dunkerque. Le 21 avril 1855, la Russie persistant à vouloir tenir ouverte la Mer-Noire, que l’Angleterre et la France voulaient tenir fermée, lord John déclare que ses instructions étaient épuisées et se retire de la conférence.

Sautons par-dessus les années, car nous n’avons pas à raconter ici la guerre de Crimée, ni le congrès de Paris. Dès que la guerre de 1870 eut ébranlé l’Europe, la Russie demanda la révision partielle du traité de Paris, et voici comment lord Russell parle de ce grave incident : « En 1856, l’Angleterre obtint à Paris (il n’est pas question de la France) un traité par lequel la Russie s’engageait à faire de la Mer-Noire une mer neutre, et à ne pas envoyer de vaisseaux de guerre dans cette mer. Considérant qu’un grand nombre de sujets russes vivent sur les bords de la Mer-Noire, c’était là une stipulation très dure et très extraordinaire. Personne n’eût été surpris d’apprendre que la Russie, ses ressources navales et militaires rétablies, demandât aux puissances européennes de se réunir et de modifier cette dure clause du traité de 1856, à laquelle toutes les puissances principales avaient adhéré. Rien n’eût été plus raisonnable qu’une pareille requête. Est-ce là ce qu’elle a fait ? A-t-elle proposé aux puissances de se réunir sous la présidence de la Grande-Bretagne ? Tout au contraire, le prince Gortchakof, au nom de l’empereur de Russie, a déclaré que cette partie humiliante du traité de Paris était nulle et non avenue. Il a déclaré que son maître impérial ne voulait plus s’y soumettre. Il est bien vrai qu’une conférence a eu lieu et qu’une condition a été insérée dans les articles, en vertu de laquelle, en cas de violation des autres parties du traité de 1856, l’Angleterre et la France pourraient donner à la Turquie l’appui de leur flotte. Ce n’est là qu’un masque décent sur les traits durs du dictateur russe. »


IV

Lord Russell a conduit la politique extérieure de l’Angleterre depuis l’année 1859, sous les auspices de lord Palmerston, pour me servir de son expression, jusqu’à la mort de cet homme d’état, en octobre 1865. Sa main a touché à tout : aux États-Unis, à l’Italie, à la Pologne, au Danemark. Nous voudrions, dans les grands événemens de cette période, montrer autant que possible sa part personnelle, directe, saisir l’homme dans cette volumineuse et