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Barnave, Chapelier, Duport, les devaient lire :
         Ceux-ci ne lisent pas non plus.


Barnave n’a pas lu ou n’a pas compris. Danton, Hérault de Séchelles, d’autres encore, n’ont pas lu ou ne lisent pas non plus ; ils sont morts ou ils vont mourir. Ils ont, eux aussi, jeté à l’eau l’aviron ; ils ne peuvent plus dire à la barque que le flot entraîne : Évite cet écueil, arrête-toi là, dirige-toi de ce côté. L’océan populaire les emporte et les brise. Telle est la moralité de l’apologue, resté un peu obscur à la fin, dans sa rapide concision.

C’est vraiment sous cette forme que je conçois ce que les poètes appellent l’inspiration, une forme inégale, des vers interrompus ; mais à travers tout cela la verve continue, l’impulsion d’une idée vive créant comme un courant irrésistible dans la pensée du poète, entraînant dans son flot mélangé prose et vers, tout ce qui se présente pour l’exprimer sans l’arrêter, sans la suspendre un instant. Le triage, la séparation des élémens se fera plus tard. En attendant, l’image et le mouvement se sont conservés intacts. Ils ne se sont attardés ni brisés sur aucun écueil vulgaire ; ils ne se sont pas dispersés en détails accessoires. Ils sont arrivés droit au but, sans rien perdre de la force qui les a lancés. Nous savons qu’il y a d’autres procédés pour d’autres poètes ; nous n’en connaissons pas qui représentent d’une manière plus sincère le travail intérieur de la pensée, et c’est un des spectacles les plus curieux où l’on puisse se charmer et s’instruire, que d’assister ainsi au premier jet irrégulier, mais puissant et spontané, d’une vivante poésie.

Parfois il s’étonnait lui-même, l’enfant charmant de la poésie grecque, l’ami d’Homère et de Callimaque, le familier des héros et des muses, de la métamorphose accomplie en lui, des âpres colères qui avaient remplacé les inspirations d’autrefois, et dans des vers antiques, étonnés d’éclore au milieu d’une implacable satire, il revenait à son idéale patrie :


Diamant ceint d’azur, Paros, œil de la Grèce,
         De l’onde Égée astre éclatant !
Dans tes flancs où Nature est sans cesse à l’ouvrage,
         Pour le ciseau laborieux,
Germe et blanchit le marbre honoré de l’image
         Et des grands hommes et des dieux !


Pour s’encourager lui-même à son œuvre nouvelle de justicier, il a besoin de se souvenir que Paros, qui donne le marbre où revivent les héros, est aussi la patrie d’Archiloque :


Mais pour graver aussi la honte ineffaçable,
         Paros de l’ïambe acéré