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teutons ont vues en marche vers la frontière, ils ne découvriront pas la moindre trace d’une agitation ou d’une conspiration quelconque contre l’ordre universel ; ils verront le « péril social » dans des polémiques de journaux, point du tout dans les rues. Ils trouveront une nation toujours bienveillante, désabusée, prompte à jouir du repos qu’on lui laisse, assez peu disposée à prendre feu pour les conseils-généraux, dont la session vient de finir, et pour l’assemblée, dont la session va recommencer, pour les prétendus dissentimens de cabinet et pour les lois qu’on prépare, pour les monotones manifestes de la presse légitimiste ou pour le dernier discours de M. Gambetta lui-même. Ce qui se passe au moment présent en France n’est point toujours sans doute facile à saisir, et les étrangers peuvent s’y tromper, puisque des Français s’y méprennent souvent. Ce n’est nullement de l’indifférence ou une atonie découragée, c’est le sentiment profond d’une nation qui, en se concentrant sur elle-même, n’attache plus trop d’importance à des choses pour lesquelles elle se serait passionnée dans d’autres temps, — si bien qu’il y a une sorte d’étrange et indéfinissable contraste entre l’état réel du pays et les polémiques plus ou moins vives, les agitations plus ou moins artificielles de la politique. On le voit depuis quelques semaines dans cet interrègne parlementaire rempli de petites et assez vaines disputes. M. le vice-président du conseil changera-t-il un nombre plus ou moins grand de préfets ? M. le garde des sceaux a-t-il décidément expédié des instructions pour ramener les juges de paix aux soins et aux devoirs de leur magistrature toute locale ? M. Buffet et M. Dufaure sont-ils d’accord, ou se sont-ils querellés pour quelque circulaire nouvelle, pour le choix d’un fonctionnaire ? Le scrutin de liste prévaudra-t-il sur le scrutin par arrondissement dans le régime électoral ? Y aura-t-il une loi sur la presse, et quelle sera cette loi ? Ce sont là des affaires dont les journaux s’occupent avec la meilleure volonté d’animer la scène politique, avec leurs préoccupations de partis, au risque de hasarder beaucoup de conjectures et d’en être réduits à supposer dans le gouvernement des dissidences qui n’existent point ou qui n’ont certainement pas la gravité qu’on peut croire.

La vérité est que le pays ne prend pas un intérêt démesuré à la plupart de ces questions, qui se préciseront nécessairement le jour où l’assemblée sera réunie, qui seront résolues alors comme l’ont été jusqu’ici bien d’autres questions plus sérieuses. Le pays, quant à lui, est peu sensible aux subtilités et aux nuances, le plus souvent il ne les comprend pas. Il ne voit qu’une chose, l’établissement d’un régime constitutionnel qui le met à l’abri de l’imprévu en lui assurant des conditions fixes d’existence, en lui ménageant même les moyens de réformer régulièrement ses institutions. L’essentiel pour lui maintenant est que ce régime devienne une réalité, qu’on se hâte de faire les lois destinées à compléter l’organisation constitutionnelle, qu’il y ait enfin un