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THÉÂTRE DE L’ODÉON. — Un drame sous Philippe II. THÉÂTRE DU GYMNASE. — Le Comte Kostia.


Il semblerait décidément que depuis déjà quelque temps le théâtre, abandonnant la comédie de mœurs, voulût se rouvrir au genre délaissé du drame historique. S’il y a lieu de s’en féliciter, il n’appartient qu’aux œuvres de le décider ; toujours est-il que les mêmes applaudissemens qui cet hiver avaient accueilli la Fille de Roland au Théâtre-Français saluaient l’autre jour à l’Odéon la pièce nouvelle de M. de Porto-Riche, un Drame sous Philippe II. Ce n’est pas d’ailleurs qu’entre l’un et l’autre drame il puisse venir à l’esprit d’établir aucune comparaison : en dépit des défaillances de l’exécution et d’une certaine lourdeur du style, il passait par intervalles dans la Fille de Roland comme un souffle de grandeur et de générosité qui soulevait l’œuvre, et qu’on chercherait vainement dans un Drame sous Philippe II ; mais surtout M. de Bornier avait eu la prudence de reculer la scène de son drame par-delà le moyen âge de l’érudition positive, jusqu’aux confins encore indécis de l’histoire et de la légende héroïque, tandis que M. de Porto-Riche a conçu la noble et malencontreuse ambition de dresser en pied dans le cadre de son œuvre une haute figure, trop réelle, trop vivante, pour qu’il fût possible à l’imagination poétique, même d’un maître, d’y toucher sans l’altérer. C’est qu’il y a deux manières d’entendre le drame historique et dont on pourrait craindre, si Shakspeare n’existait pas, que la seconde fût aussi fausse que la première est légitime. Si le poète en effet n’emprunte à l’histoire que le milieu réel où il fera vivre et mouvoir ses personnages, — détails de mœurs et de costumes, couleur locale, comme on disait il y a quelque trente ans, — évidemment on ne saurait lui disputer le droit de ne relever que du caprice de son inspiration : libre à lui, si d’autre part il a satisfait aux conditions de son art, de faire battre sous le pourpoint d’un Espagnol du XVIe siècle le cœur d’un plébéien du XIXe, pourvu seulement que ce soit un cœur humain. Nous croyons qu’il en va tout autrement, si ce sont des personnages réels qu’on traduise à la scène, de ceux-là dont le nom, dont les œuvres ont laissé derrière eux dans la mémoire des hommes une trace profondément empreinte, et dont la malignité du spectateur pourra confronter le langage avec le style de leurs dépêches d’état et de leurs lettres originales ; la vérité redevient aussitôt souveraine. Que reste-t-il autre chose aujourd’hui du Richelieu de Cinq-Mars ou de Marion Delorme que le souvenir d’une aventure périlleuse où le poète a compromis également la dignité de l’art et l’impartialité de l’histoire ? Mais sans doute ce n’est pas là l’opinion de M. de Porto-Riche, du moins s’il en faut juger par le portrait de Philippe II qu’il vient de nous donner.