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ses contemporains sur la vie, toutes leurs tentatives pour la définir ne sont en quelque sorte que l’écho ou la paraphrase de sa doctrine. Un chirurgien de l’école de Paris, Pelletan, enseigne que la vie est la résistance opposée par la matière organisée aux causes qui tendent sans cesse à la détruire. Cuvier lui-même développe la même pensée, que la vie est une force qui résiste aux lois qui régissent la matière brute ; la mort ne serait que le retour de la matière vivante sous l’empire de ces lois. Ce qui distingue le cadavre du corps vivant, c’est ce principe de résistance qui soutient ou qui abandonne la matière organisée, et pour donner une forme plus saisissante à son idée, Cuvier nous représente le corps d’une femme dans l’éclat de la jeunesse et de la santé subitement atteinte par la mort. « Voyez, dit-il, ces formes arrondies et voluptueuses, cette souplesse gracieuse des mouvemens, cette douce chaleur, ces joues teintes de roses, ces yeux brillans de l’étincelle de l’amour ou du feu du génie, cette physionomie égayée par les saillies de l’esprit ou animée par le feu des passions ; tout semble se réunir pour en faire un être enchanteur. Un instant suffit pour détruire ce prestige : souvent, sans cause apparente, le mouvement et le sentiment viennent à cesser, le corps perd sa chaleur, les muscles s’affaissent et laissent paraître les saillies anguleuses des os ; les yeux deviennent ternes, les joues et les lèvres livides. Ce ne sont là que les préludes de changemens plus horribles : les chairs passent au bleu, au vert, au noir ; elles attirent l’humidité, et pendant qu’une portion s’évapore en émanations infectes, une autre s’écoule en sanie putride qui ne tarde pas à se dissiper aussi ; en un mot, au bout d’un petit nombre de jours, il ne reste plus que quelques principes terreux et salins ; les autres élémens se sont dispersés dans les airs et dans les eaux pour entrer dans d’autres combinaisons. » « Il est clair, ajoute Cuvier, que cette séparation est l’effet naturel de l’action de l’air, de l’humidité, de la chaleur, en un mot de tous les agens extérieurs sur le corps mort, et qu’elle a sa cause dans l’attraction élective des divers agens pour les élémens qui le composaient. Cependant ce corps en était également entouré pendant la vie ; leurs affinités pour ses molécules étaient les mêmes, et celles-ci y eussent cédé également, si elles n’avaient pas été retenues ensemble par une force supérieure à ces affinités, qui n’a cessé d’agir sur elles qu’à l’instant de la mort. »

Ces idées de contraste et d’opposition entre les forces vitales et les forces extérieures physico-chimiques, que nous retrouvons dans la doctrine des propriétés vitales, avaient déjà été exprimées par Stahl, mais en un langage obscur et presque barbare ; exposées par Bichat avec une lumineuse simplicité et un grand charme de style,