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lorsque sa nouvelle élève le salua gracieusement. Hélène ressemblait aux splendides Vénitiennes du Titien et de Véronèse ; une robe noire traînante faisait ressortir l'éclat de son teint rose et de ses cheveux d'or, qui échappaient lumineux comme une auréole à une sorte de voile coquettement noué. — Valérien bégaya quelque peu en parlant de sa patrie, de ses malheurs , de sa reconnaissance ; mais Weinreb lui vint en aide et aborda le côté pratique de la question. Aussitôt qu'Hélène eut appris le salaire modique demandé pour les leçons, elle dit un mot tout bas à son père, qui sourit ; la mère fit une légère grimace, et le prix fut doublé. Le maître remercia, fort embarrassé. — Quand commençons-nous? demanda-t-il.

— Aujourd'hui, si vous voulez, dit M. de Festenburg.

— Non, repartit Hélène, demain; aujourd'hui M. Scarlatti est notre hôte. Il prendra le thé avec nous, et nous parlera de l'Italie, de Garibaldi…

Tout en prenant le thé, la jeune fille et les parens eux-mêmes écoutèrent avec un plaisir visible les récits de Valérien, qui, heureusement pour lui, avait voyagé en Italie et n'hésita jamais une minute à décrire le Grand-Canal ou les Gascine. Il parla aussi de Garibaldi, sous lequel il avait combattu en Sicile, et, mettant à nu son bras musculeux, fit passer certain coup d'épée qu'il avait reçu d'un rival au bois de Boulogne pour un coup de baïonnette suisse. — Dans l'œil bleu d'Hélène étincela une larme. — Cette nuit-là, elle rêva d'une barricade sur laquelle Valérien se dressait debout, la dague au poing. À ses côtés, elle faisait flotter les couleurs italiennes.

V.

Hélène avait choisi à dessein l'après-midi pour sa leçon. Aussitôt qu'elle était terminée, on servait le thé ; or il arrivait chaque fois que Valérien, prié de rester, refusait d'abord timidement et finissait par consentir : alors il racontait, illustrant ses récits de pochades spirituelles qu'il savait esquisser à la plume avec beaucoup d'art, ou bien il lisait Dante et l'Arioste, quand il ne chantait pas quelque duo avec Hélène.

M. de Festenburg se réjouissait du tour que prenaient les choses, la mère trouvait le prétendu Italien de plus en plus aimable, et quant à la jeune fille, elle ne se rendait pas compte de ses sentiments ; mais, lorsque l'aiguille de la pendule annonçait l'arrivée de Valérien, son cœur battait à coups redoublés. Était-il là, elle changeait de couleur à tout instant. Weinreb ne manquait pas d'entrer pendant la leçon et constatait en observateur sagace les progrès du roman; tandis que la personne du jeune gentilhomme était de jour