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négligence. Ses petits récits d’ordinaire commencent très bien, mais ne finissent pas. L’auteur, on le voit, s’est trouvé séduit par une heureuse idée, et vite il a pris la plume ; puis, à mesure qu’il avance, sa main se fatigue, son esprit, toujours inquiet, passe à un autre sujet, et le dénoûment se bâcle tant bien que mal. Ce défaut est commun à tous les Espagnols : ils ont reçu en partage l’esprit, la facilité, une langue admirable, riche autant qu’harmonieuse et souple autant que forte ; mais, comme dans les contes de fées, une méchante vieille est venue qui leur a refusé le dernier des dons, celui qui leur eût permis de mettre à profit tous les autres : ils redoutent l’effort et le travail. Du moins Alarcon a-t-il un mérite bien particulier, c’est qu’il voit toujours les choses par leur côté original. Son imagination inépuisable rajeunit jusqu’aux lieux-communs, et, à défaut d’autre ressource, lui fournit sur tout sujet les développemens les plus riches et les plus brillans. L’écueil serait d’en abuser, et il abuse quelquefois ; ainsi dans sa façon de couper le récit, de s’adresser au lecteur, de donner cours à l’improviste à ses réflexions personnelles : il tombe alors dans le procédé. Le style chez Alarcon est bien en rapport avec les idées ; il est varié, plein d’éclat, mais surtout clair et précis, légèrement afrancesado, comme on dit en Espagne, non sans une nuance de reproche ; en effet, Alarcon s’est beaucoup occupé de la littérature française, et l’on relèverait dans ses écrits plus d’une expression et d’un tour de phrase empruntés à nos bons auteurs. Ce n’est pas qu’il ignore rien des finesses ou du maniement de son idiome natal ; mais il veut avant tout rendre exactement sa pensée, et pour cela il passera au besoin par-dessus toutes les règles et toutes les défenses de la syntaxe. Les deux morceaux suivans sont tirés de son premier livre de nouvelles.


BONNE PÊCHE.

La guerre de la succession venait de finir : couvert de gloire et de blessures, mais sans un maravédis en poche, comme il arrivait alors à presque tous les héros, le noble baron de Mequinenza rentra dans son castel démantelé afin de s’y reposer des dures fatigues des camps et d’y manger en paix les maigres revenus attachés à son titre.

Deux mots sur le guerrier et deux aussi sur sa gentilhommière.

Don Jaime de Mequinenza, baron de Mequinenza, qui avait servi comme capitaine dans les armées du petit-fils de Louis XIV, était à cette époque un homme de trente-cinq ans, grand, beau, hardi, entreprenant, peu lettré, mais loquace à l’extrême et prisant fort les jolies filles. Ajoutez à cela qu’il était orphelin, garçon, unique