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l’accomplissement de son dessein. La reine Anne voulait attendre encore ; la mort la devança, une attaque d’apoplexie l’enleva subitement. L’électrice Sophie était morte peu de mois avant elle. La proposition de proclamer Jacques III à l’un des carrefours de Londres fut écartée, les jacobites se trouvant numériquement trop faibles, et Bolingbroke s’écria douloureusement : « La meilleure cause de l’Europe est perdue par manque de résolution. »

La facilité avec laquelle s’accomplit l’avènement de la maison de Hanovre étonna même ses partisans les plus dévoués. Seize princes et princesses possédaient des droits au trône de la Grande-Bretagne plus légitimes que ne l’étaient ceux de l’électeur ; mais plusieurs d’entre eux étaient revenus à l’église catholique romaine, et le parlement, en désignant George, avait créé la fiction que ce personnage représentait le principe de la révolution de 1688, c’est-à-dire la liberté religieuse et politique.

C’était cependant un bourgeois mesquin, entiché de sa principauté allemande, ignorant les lois, les coutumes anglaises, ne parlant pas même la langue du pays sur lequel il allait régner. Il s’était débarrassé de son épouse, la belle et malheureuse Sophie-Dorothée de Brunswick, et il arrivait avec un cortège de maîtresses laides et vulgaires. L’une d’elles, insultée par la populace de Londres, cria en méchant anglais : « Je suis venue ici pour votre bien ! » — « Pour avoir nos biens, » riposta la foule. Le 20 octobre 1714, George Ier fut couronné roi de la Grande-Bretagne et d’Irlande. Bolingbroke assista au couronnement, et l’ambassadeur de France écrivait à son cabinet : « Milord Bolingbroke est pénétré de douleur. Il m’a assuré que les mesures étaient si bien prises qu’en six semaines de temps on aurait mis les choses en tel état qu’il n’y aurait eu rien à craindre de ce qui vient d’arriver. »

Cependant ni le prétendant ni son protecteur, le roi de France, ne renonçaient à leurs espérances. En pleine paix avec l’Angleterre, Louis XIV fournit des armes et des vaisseaux de transport pour 10,000 hommes. Il donna deux lettres de change de 300,000 livres pour être envoyées en Écosse, et par des ordres au porteur, signés de Torcy et de Pontchartrain, il mit à la disposition du prince tous les commissaires de marine. Après bien des conférences, il fut arrêté que la descente aurait lieu au mois de septembre 1715 sur une petite île voisine de Newcastle. Les jacobites, c’était le nom que l’on donnait aux partisans du prince, cédant à la présomption trop ordinaire aux séditieux, se soulevèrent avant le temps dans une partie de l’Écosse et de l’Angleterre, et proclamèrent Jacques III.

Le chevalier de Saint-George ne pouvait plus sans déshonneur garder sa retraite en Lorraine ; mais au premier mouvement qu’il fit, l’ambassadeur d’Angleterre, lord Stair, somma le roi de France